Le secrétaire d'Etat à la Jeunesse, M. Mohamed El Gahs, s'explique sur les fins assignées à l'opération “Le temps du livre“ qui dure du 15 janvier au 15 février 2004. Avec passion, il trace la philosophie d'un programme dont il attend qu'il provoque un sursaut national. Entretien. ALM : Comment est née l'idée de cette opération et de quand date-t-elle ? Mohamed El Gahs : La préoccupation de la lecture et du livre était déjà inscrite dans le projet que j'ai présenté au gouvernement. L'idée n'est pas nouvelle. Elle m'habite depuis toujours. J'ai moi-même, comme beaucoup d'autres, un rapport très étroit aux livres et à la lecture. J'ai toujours considéré que les clefs pour comprendre le monde se lisent dans des livres. Tous les domaines de la connaissance et de la culture, que ce soit l'Histoire, les arts, la science ou la philosophie se trouvent dans des livres. Sans une culture de la lecture, nous ne pouvons pas être rassurés sur le projet démocratique qui est le nôtre aujourd'hui. Nous ne pouvons pas être rassurés sur les ambitions que nous nourrissons pour ce pays, sur le plan économique, social, politique ou culturel tant que nous n'aurons pas la certitude que les jeunes d'aujourd'hui et les générations de demain seront armés par le savoir. Et ce savoir est d'abord dans les livres. L'acte de lire est fondateur de l'évolution d'une société. La crise de la lecture semble insurmontable au Maroc. Le débat existe depuis de longues années et n'a mené nulle part… Il faut rompre avec le discours sur la crise et sortir de cette attitude d'amertume et de démission. Le secrétariat d'Etat chargé de la Jeunesse ne prétend pas régler le problème ou montrer le chemin qui mène vers le Graal de la lecture au Maroc. En revanche, nous affirmons, avec détermination et enthousiasme, vouloir briser le cercle vicieux du débat autour de la crise sur la lecture. Nous estimons que la meilleure manière de le faire consiste à interpeller la société. Lui dire : voilà le problème, il est très dangereux, il menace nos acquis et ralentit le rythme d'évolution que nous voulons pour ce pays, et il faut par conséquent engager des actions concrètes ! Concrètement, cela va se traduire par la collecte de livres et de dons aux maisons de jeunes… La collecte de livres est d'abord affaire de souscription nationale. La portée symbolique de cette souscription est aussi importante que l'acte de donner des livres. Que des citoyens, quel que soit leur milieu social, choisissent dans leur bibliothèque des bouquins, les trient et les acheminent vers les lieux de la collecte, c'est cette mobilisation qui me touche. À partir du moment où ils font acte de don de livres, ils s'impliquent dans le débat pour la prise de conscience relative à l'extrême importance de la lecture dans une société. Quand des citoyens donnent des livres à travers tout le territoire, au même moment, cela est synonyme de sursaut national autour et pour la lecture. Les professionnels du livre seront-ils associés à cette opération ? Nous allons inviter pendant tout le temps qu'il le faudra des écrivains à parler aux jeunes, à signer des livres. Toutes les personnes qui travaillent dans le secteur de l'édition ou de l'industrie des livres seront invitées à participer à l'opération. Les libraires, les bibliothécaires, les éditeurs, tous sont appelés à créer des chantiers de renaissance de la lecture et du livre dans ce pays. Et nous sommes là pour ouvrir les espaces, coordonner les actions et donner vie à toute initiative visant à faire de la lecture un besoin pour nos concitoyens. Les livres seront mis à la disposition de la jeunesse dans les maisons de jeunes, les associations. Ils serviront de vecteur pédagogique pour conduire à parcourir des pages, à aimer le livre. L'opération “Le temps du livre“ dure un mois. Est-ce qu'elle va se terminer avec le 15 février ? Le mois, c'est celui de la souscription nationale. Mais le programme ne se termine pas avec la souscription. Il durera le temps qu'il faudra. Il est amené à évoluer, à prendre des formes nouvelles, en fonction de la réaction des jeunes à nos objectifs. Nous lançons un programme dont les effets doivent se perpétuer. La réussite de cette opération consisterait à dépasser le ministère de la Jeunesse. Quand la société, avec ses différents acteurs, se sera appropriée le sujet, l'opération aura été un succès. Vous comptez aussi faire de la lecture des journaux l'un des axes de l'opération ? Le rapport à la lecture de la presse fait partie du problème. Là encore, il faut initier des actions de sensibilisation et d'éducation en direction de la jeunesse. Que les jeunes lisent les journaux qu'ils veulent, mais qu'ils lisent ! Qu'ils comprennent que le journal n'est pas un luxe, mais une nécessité. C'est un élément fondamental de la construction de leur personnalité et de leurs choix dans la vie. Si la presse est soutenue par un large lectorat, elle serait meilleure. Elle serait renforcée dans son indépendance. Vous avez dit : “on ne peut pas vivre sans lire“. Pouvez-vous développer cette idée ? Ma mission, c'est de préparer les jeunes à l'expérience de la vie. C'est quoi la vie ? C'est ce que nous apprenons en tant que citoyen sur le monde extérieur. Les émotions, les révoltes, les enthousiasmes, les idées vivifiantes, la communauté d'idées, les émerveillements… La vie, c'est l'ensemble de ces sensations, sentiments, réactions, perceptions éprouvés et qui poussent un homme à accomplir des actions ordonnées. Et moi, jusqu'à présent, je n'ai pas vu, en dehors des livres, de source plus sûre pour comprendre ce qu'est la vie. Pour moi, lire, c'est vivre. Multiplier les possibilités de vivre. Combien de métiers et d'émois apprend-on grâce à la lecture ? Sans lecture, la vie d'un homme serait étroite et étriquée, alors qu'elle est tellement large et instructive avec la communauté des auteurs de livres.