Depuis des années, l'Etat ne poursuit plus les journaux, sans que les lois, permettant de le faire, soient abolies. Ce qui est perçu comme une épée de Damoclès. Ahmed Herzenni, président du CCDH a soulevé une tempête en préconisant de se passer d'une loi sur la presse et de se limiter au code pénal. L'émoi est tel que toutes les instances professionnelles ont réagi et plutôt violemment. Cela fait plus de 10 ans que la profession et l'Etat sont en négociations. Deux conceptions s'entrechoquent. Celle des journalistes pour qui le code de la presse définit, encadre mais protège les droits, la liberté et celle des officiels pour qui l'important c'est la sanction de la faute. En vérité, il est impossible d'imaginer un code qui ne comporte pas les deux, l'espace de liberté étant un objet de combat perpétuel pour son élargissement. Même si, au Canada par exemple, il n'y a pas de code de la presse, juste quelques règles déontologiques universelles. Depuis des années, l'Etat ne poursuit plus les journaux, sans que les lois, permettant de le faire, soient abolies. Ce qui est perçu comme une épée de Damoclès. La plupart des procès sont le fait de particuliers. Le vrai débat aujourd'hui concerne la protection à deux niveaux : - celle essentielle, vitale pour la démocratie, de la liberté du journaliste. - celle tout aussi vitale pour l'Etat de droit, des droits de l'environnement face à d'éventuels dérapages de la presse, voire à des campagnes de dénigrement au profit de tiers. Dans certains discours des journalistes, il y a les germes d'un malaise. La carte professionnelle ne peut devenir une sorte de coupe-fil, donnant lieu à un statut de super-citoyen. Il faut que le préjudice causé à une personne morale ou physique soit sanctionné et que la sanction soit à la hauteur de ce préjudice. L'argument selon lequel à partir d'un certain montant, les dommages et intérêts octroyés sont «abusifs et prennent des allures de vengeance» est inacceptable. La profession ne peut pas exciper de la faiblesse financière des entreprises de presse, pour limiter les droits d'autrui, ceux de nos concitoyens, à une réparation juste. C'est justement le mot juste qui pose problème. Dans les pays démocratiques l'évaluation est faite autour de la notion de «préjudice réel». Si un article de presse a coûté à une entreprise l'annulation de commandes, le rétrécissement de son crédit fournisseurs, l'évaluation peut être faite de manière quasi-comptable. Si quelqu'un a perdu son emploi à cause d'une fausse information ou d'une diffamation, là aussi, l'évaluation est simple. Restent les cas où le préjudice est moral, avec ou sans impact réel sur la vie de ce qu'il convient d'appeler la victime. Cette évaluation-là peut être contradictoire, et in fine à l'appréciation du juge. Il m'est personnellement intolérable que des confrères utilisent des arguments qui n'ont aucun lien avec le droit. Deux sont particulièrement choquants. Le premier a trait aux excuses, présentées souvent en retard. Elles sont censées rendre caduques les poursuites. Ce n'est pas le point de vue de la loi. Le second voudrait que l'honneur ne soit pas monnayable, faux parce que le principe de la réparation est à la base de tous les systèmes judiciaires. La remarque que je fais, c'est que l'audiovisuel n'a pas les mêmes problèmes. J'ai tendance à croire que l'existence d'une instance comme la HACA y est pour quelque chose, et que ses décisions apaisent les plaignants. A mon humble avis, tout en continuant à défendre son point de vue, l'élargissement de l'espace de libertés, devant l'administration, la profession doit s'attaquer à ce problème de régulation interne. Une instance jouissant d'une autorité morale et ayant entre les mains deux leviers : la carte de presse et la commission paritaire. Il me paraît évident que cela contribuerait à la pacification des rapports de la presse avec la société, et diminuerait le nombre de procès. Tout cela n'est possible que si l'on obtient des chambres spécialisées maîtrisant le délit de presse. Les confrères qui s'insurgent parce que le journaliste sera assimilé à un voleur de poules ne savent pas que c'est le cas aujourd'hui, où un directeur de publication accusé, comparaît après un dealer et avant un violeur. Le chemin est encore long, il exige un travail sur soi énorme, avant de s'attaquer à un Etat, qui n'est pas plus liberticide que bien d'autres.