Les sécuritaires «racontent» chaque séquence sans la lier au reste ni mettre en perspective la filière. Pire, ils démentent souvent ce qu'ils avaient prêché auparavant. La nouvelle cellule démantelée met en lumière la coexistence de trois filières terroristes sans lien idéologique ou organisationnel. L'affaire Belliraj a surpris les observateurs pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'elle a entraîné des dirigeants et des cadres politiques de partis légaux, affirmant leur adhésion aux principes démocratiques, mais aussi parce qu'elle met en lumière un terrorisme complexe, évolué. En fait, cette affaire anéantit la thèse selon laquelle le terrorisme est un phénomène importé. Pendant longtemps, pour des raisons d'image, responsables et politiques ont véhiculé un discours blanchissant la société marocaine et liant le terrorisme à la conjoncture internationale. Cette fois, ils sont obligés de reconnaître que cette organisation complote depuis 16 ans, qu'elle est la continuité d'un Islam subversif porté par la Chabiba Islamya depuis 1970, c'est-à-dire bien avant la création d'Al Qaïda. Dès lors, que ce soit sur le plan politique ou sécuritaire, il faut faire le distinguo entre les différentes formes de terrorisme qui guettent le pays. Celui que l'on vient de dévoiler est d'une manière ou d'une autre, lié à la mouvance intégriste, il s'agit d'une sorte de blanquisme islamiste, il n'a que des liens utilitaires à l'étranger. Son objectif, c'est le renversement du régime. Il est sans doute moins spectaculaire mais plus dangereux que les autres formes. Il est d'abord porté par des gens de formation supérieure, aguerris tant à la rhétorique qu'à l'organisation clandestine et se donnant les moyens de son action. C'est un terrorisme «évolué». Cette forme n'a aucun lien idéologique ou organisationnel avec la Salafiya Jihadia, il n'en épouse ni les théories ni les formes d'action, il est l'expression extrême de l'intégrisme marocain. A côté, subsiste un terrorisme tout aussi complexe mais lié à l'étranger. C'est celui du GICM, avec toutes ses ramifications et ses alliances internationales. Après l'arrestation de Houssaïni, certains responsables ont annoncé que le GICM n'a plus d'existence organisée au Maroc. Aujourd'hui, les spécialistes affirment que le danger d'une reconstitution existe toujours et que les activistes installés en Espagne ont des facilités de recrutement dans les milieux de l'émigration. Les sécuritaires prennent très au sérieux la menace de la résurgence de cette filière. A l'inverse du premier mode opératoire, le GICM est lié à la Salafiya Jihadia dans ses méthodes et probablement pour son financement. Bien qu'il soit lui aussi le produit de l'islamisme made in Morocco. Le troisième genre a été le plus meurtrier jusqu'ici, c'est celui du 16 mai, des faubourgs casablancais. C'est pourtant le moins évolué. Ses liens avec Al Qaïda ne sont pas organiques, il s'agit d'individus adoptant un discours jihadiste, se mettant tous le label Al Qaïda et agissant souvent dans la proximité. Ils ont rarement des contacts en dehors de leur ville, voire de leur quartier. Ce terrorisme est à la fois désespéré et sans lien avec la mouvance intégriste historique. Il est réellement le produit de l'après 11 septembre. Le réflexe identitaire, le choc des civilisations , jouent un rôle très important dans la mobilisation. Les adeptes de ce terrorisme sous-développé s'attaquent au régime parce qu'il est «allié du grand Satan», in fine, ils pensent mener une guerre planétaire pour défendre l'Islam. C'est un terrorisme qui recrute essentiellement parmi le lumpen prolétariat, d'où l'aveuglement de certains qui ont vite fait de lier le terrorisme à la misère. Nous sommes donc face à 3 filières très différentes, bien qu'occasionnellement on a pu noter un chevauchement ou au moins des contacts. Parce que ces filières ne sont pas identifiées comme telles, les responsables ont été amenés à faire des erreurs de communication qui décrédibilisent leurs thèses. De l'ignorance naît la suspicion. En effet, depuis le 16 mai, chaque fois qu'une cellule est démantelée, une certaine forme de défiance se met en place. Elle est le produit des rapports compliqués avec l'Etat, de la méfiance absolue vis-à-vis de la justice, mais aussi de l'ignorance des formes d'organisation citées plus haut. Les sécuritaires «racontent» chaque séquence sans la lier au reste ni mettre en perspective la filière. Pire, ils démentent souvent ce qu'ils avaient prêché auparavant. Ils sont souvent tentés d'en dire un minimum et de défendre la thèse qui les arrange politiquement. Cette fois, ils sont face à un problème de taille: l'accusation portée contre des dirigeants politiques. Que ceux-ci nient en bloc par ailleurs. L'incrédulité persistante porte ombrage à l'ensemble de l'affaire. La matérialité des faits, qui seront publics ces jours-ci puisque les accusés seront déférés au parquet, risque de ne pas suffire. La justice tranchera, sans pour autant convaincre tous les récalcitrants. Nous sommes face à un véritable problème politique. Le terrorisme est une menace réelle, qui est là pour une période indéterminée mais sûrement longue. La lutte antiterroriste ne peut se limiter à l'aspect sécuritaire, elle réclame l'adhésion de l'ensemble de la société. Force est de reconnaître qu'en réalité on en est loin. Pour casser cette mésentente il y a un début inévitable: la transparence absolue et l'information complète. L'opinion publique est perturbée par les différentes thèses des sécuritaires, la suspicion d'une certaine presse et les discours alarmistes de certaines associations des droits de l'Homme. Nos deux chaînes préfèrent ne pas s'attaquer à cette ambiance. Pourtant, sans la mobilisation de cette opinion publique, les efforts des sécuritaires n'ont aucune chance de suffire.