Suite à la visite officielle du président libyen en France, l'opposition socialiste, qui n'a jamais pardonné à Bernard Kouchner sa trahison, a senti tout le bénéfice politique qu'il y avait à gratter sur la cicatrice. Pour qu'un ancien ministre des Affaires étrangères, Roland Dumas, qui a pendant longtemps honoré de sa médiatique présence les tribunaux de la république et fait la fortune des chroniqueurs judiciaires, puisse accuser l'actuel chef de la diplomatie française, de «double lâcheté», «de ne pas être là et de ne pas donner des raisons», cela en dit long sur la pénible vie que mène Bernard Kouchner dans l'ère Sarkozy. Cela s'est passé à l'hôtel parisien du Ritz où le leader libyen Mouammar Kadhafi avait choisi de donner une réception à ses fidèles français et arabes les plus proches. Roland Dumas y jouait le maître de cérémonie. La visite du Raïs libyen à Paris aura, sans conteste, été pour Bernard Kouchner le plus dur calvaire jamais vécu depuis que Nicolas Sarkozy a choisi de l'installer au Quai d'Orsay. Heureux de figurer, avec le président français, à Tripoli, sur la photo de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, le voilà qui a passé toute cette semaine libyenne à jouer les faux-semblants, à pratiquer le grand écart, à se glisser entre les ombres chinoises d'une diplomatie partagée entre l'irrésistible tentation du chéquier et l'incontournable exigence des droit de l'Homme et de la démocratie. L'opposition socialiste, qui n'a jamais pardonné à Bernard Kouchner sa trahison, a senti tout le bénéfice politique qu'il y avait à gratter sur la cicatrice. Un de ses talentueux flibustiers, Arnaud Montebourg, a choisi l'Assemblée nationale comme théâtre pour se livrer à une exécution en règle: «la République française est en train d'offrir une réhabilitation retentissante et dorée sur tranche au colonel Kadhafi» et de déplorer une «pénible visite officielle tourne à la farce tragi-comique» avant de s'interroger, dans un effet de manche dévastateur : «Jusqu'où irez-vous dans la négation de vous-même?». Bernard Kouchner, visiblement déstabilisé, tente de resservir une argumentation sur la nature évolutive du régime libyen et des réserves qu'il suscite : «Cette évolution est suffisamment importante pour que nous ayons pu juger, pratiquant une diplomatie de la réconciliation, que c'était suffisant au moins pour qu'il nous visite (…) Lorsqu'il a dit que le terrorisme était l'arme des pauvres, ça n'était pas suffisant. La pauvreté pousse parfois au terrorisme, mais justifier le terrorisme (...) nous le condamnons (…) Lorsqu'il a dit qu'il n'était pas pour des accords de paix entre Israël et la Palestinienne, il a eu tort. Lorsqu'il a parlé des droits de l'Homme ici, c'est-à-dire des droits de l'Homme dans notre pays et en Europe, c'était assez pitoyable et nous le condamnons». Bernard Kouchner a reçu un terrible coup de vieux de la part de sa jeune et dynamique secrétaire d'Etat aux droits de l'Homme, Rama Yade qui avait rué dans les brancards avec son enthousiasme et sa sincérité. Nicolas Sarkozy qui réfléchit en ce moment à la meilleure manière de redessiner son ouverture, ne doit pas être insensible à la situation de Bernard Kouchner. Le ministre des Affaires étrangères a fait preuve d'une double incapacité, celle de ne pas assumer clairement les choix gouvernementaux et celle de ne pas pouvoir trouver les arguments adéquats pour désarmer les milieux contestataires de cette action, notamment sur le plan des droits de l'Homme. Le choix du «French doctor» au poste de ministre des Affaires étrangères était, semble-t-il d'abord dicté par cette préoccupation. Bernard Kouchner, l'homme qui sur le dossier iranien disait qu'«il fallait se préparer au pire c'est à dire à la guerre contre l'Iran» et que beaucoup pressentent comme indésirable dans les capitales du Maghreb pour des raisons différentes, n'a pas réussi l'exploit attendu au Proche-Orient notamment dans la crise libanaise. Au bout d'un long séjour à Beyrouth, la situation libanaise, vue de Paris, n'est que plus inextricable. Nicolas Sarkozy a été obligé de dépêcher deux de ses plus proches collaborateurs, Claude Guéant et Jean-David Levitte, à Damas pour ébaucher un retour de dialogue avec le régime syrien. Bernard Kouchner, la star de l'ouverture, est ne train de voir ses rayons scintiller avec moins d'éclats. Les grincements du grand écart se sont fait entendre plus vite que prévu.