Le climat social s'engouffre dans la crise en France. La remise en cause des régimes spéciaux de retraite suscite la colère des salariés. Nicolas Sarkozy met en jeu sa crédibilité. En ces jours de grèves reconductibles sous un ciel au froid impitoyable, il ne fait pas bon d'être salarié français. Les entreprises de transports publiques, qui protestent durement contre la volonté du président Nicolas Sarkozy de remettre en cause leurs régimes spéciaux de retraite, ont mis à exécution leurs menaces de paralyser le pays et d'imposer à son économie une coûteuse lenteur. La situation était tellement dramatique que la présidente du Medef, une association des patrons, Laurence Parisot n'a pas pu s'empêcher de pousser ce cri : «Moi, je ne cesse de penser à tous ceux qui aiment la France et nous regardent aujourd'hui et se disent mais qu'est-ce que c'est que ce ringardisme ?» Il faut dire que les deux protagonistes de cette crise, Nicolas Sarkozy et les centrales syndicales, se livrent un vrai poker menteur. C'est à qui exprimera, avec la plus grande détermination, son intention de remporter la bataille finale. Un véritable concours d'exhibition politique et sociale entre un président qui se dit avoir été choisi par les Français parce qu'il a promis d'entreprendre les indispensables réformes et des corporatismes qui voient leurs privilèges historiques menacés de fondre. D'un côté, le président Sarkozy fait savoir qu'engageant ce bras de fer social, il met en jeu non seulement sa crédibilité de réformateur mais aussi la physionomie future de l'ensemble de son quinquennat. Henri Guaino, son conseiller spécial et intarissable écrivain de ses discours, a été chargé de résumer l'actuelle posture présidentielle avec un état d'esprits tranché : «Je crois que tout le monde a compris que si, sur une réforme aussi légitime, aussi nécessaire du point de vue de l'équité, (...) cette réforme était mise au placard, toutes les réformes seraient compromises (…) Les choses sont au fond très, très simples, on a fixé les principes d'une réforme qui doit être mise en œuvre, dans les conditions les plus démocratiques. Renoncer signifierait qu'il n'y a plus de réformes». De l'autre côté, des chefs syndicaux, dont le leadership est ouvertement défié, cherchent à résister avec le minimum de dégâts à cette dynamique des réformes. Défenseurs des acquis sociaux catégoriels, ils savent que s'ils cèdent facilement sur une question aussi vivace, aussi symbolique que celle des régimes spéciaux de retraite qui sanctionnent la pénibilité avérée de certains métiers, ils ne peuvent plus arrêter la boîte de Pandore que s'apprête à ouvrir goulûment un Nicolas Sarkozy au faîte de sa victoire. En spectatrice attentive de ce bras de fer entre Nicolas Sarkozy et les leaders syndicaux, l'opposition socialiste ne sait plus sur quel pied danser. Elle se trouve prise au piège de sa propre rhétorique. D'un côté, elle ne peut se permettre le luxe de s'opposer ouvertement à la dynamique de réforme lancée par Nicolas Sarkozy et que les Français approuvent largement. De l'autre côté, elle ne peut se permettre de prendre la moindre distance à l'égard des choix stratégiques des syndicats notamment de gauche comme la CGT au risque de se couper définitivement du monde ouvrier et salarié, lequel en théorie, constitue sa base naturelle. C'est pour ces raisons que cette opposition socialiste a choisi de tenir le manche par le milieu en adressant un double reproche aux protagonistes à dureté équidistante. François Hollande, le premier secrétaire du Parti socialiste illustre cette tendance lorsqu'il s'interroge: «Pourquoi obliger à faire une grève et un conflit alors qu'on peut parvenir à une solution par la négociation (...) pourquoi faut-il attendre le dernier moment et mettre les Français dans une situation de dureté (…) Nous soutenons les mouvements qui exigent qu'il y ait une négociation». Le même son de cloche est développé sur une autre partition par Julien Dray, le socialiste de l'autre bord, celui de Ségolène Royal : «Si le gouvernement avait été attentif, il aurait discuté, dialogué, on n'aurait pas eu cette situation qu'on a aujourd'hui où finalement, sur le fond, on est à deux doigts de trouver un accord». Il n'en demeure pas moins que face à cette surenchère politique entre Nicolas Sarkozy et les syndicats, l'élément majeur susceptible d'influencer le comportement des uns et des autres s'appelle « le temps». Et la durée de ce conflit social demeure, même pour les observateurs les plus avertis, la plus grande inconnue.