Le silence du ministre français des Affaires étrangères et européennes, Bernard Kouchner, à propos du scandale que suscite l'association «L'Arche de Zoé» provoque de vives critiques. Pour quelqu'un qui, tout au long de sa longue carrière a montré un appétit dévorant des médias et s'est distingué par une présence envahissante jusqu'à l'agacement, son silence contraint sur l'affaire de «L'Arche de Zoé» ressemble davantage à une pénitence imposée qu'à un choix stratégique délibéré. Bernard Kouchner, le ministre socialiste du gouvernement Sarkozy-Fillon a brillé par une assourdissante timidité depuis le déclenchement du scandale des enfants tchadiens qui allaient être littéralement enlevés par une organisation non gouvernementale au label humanitaire très contesté. Le scandale en question signe de manière éclatante l'effondrement de ce qui avait fait la fortune politique de Bernard Kouchner. Ce «French doctor», que la satire politique n'ose plus présenter sans un ridicule sac de riz sur les épaules, a été le précurseur du fameux droit d'ingérence humanitaire au mépris de toute forme de souveraineté des Etats, des célèbres corridors humanitaires imposés pour extirper les malheureux civils des antagonismes les plus meurtriers. Bernard Kouchner s'est forgé une réputation de baroudeur de l'humanitaire dont on retrouve les intonations enflammées et la passion militante chez les membres zélés de «L'Arche de Zoé» tels qu'ils apparaissent dans leurs confidences télévisées enregistrées en plein razzia des enfants tchadiens. Avant de rompre son silence pendant le rendez-vous politique hebdomadaire de TV5 et Europe 1 dimanche soir, Bernard Kouchner était apparu très en retrait dans une affaire qui, pourtant, requiert son expertise et son savoir-faire. L'embarras du ministre était tel que la gestion de la communication de cette crise a été confiée à la très novice Rama Yade, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères chargée des droits de l'Homme, avant que la communication officielle ne soit reprise en main par l'Elysée à travers son porte-parole David Martinon. Le silence de Bernard Kouchner sur le scandale des enfants tchadiens était aussi flagrant que son excès de parole sur la crise iranienne lorsque, allant à l'encontre des choix diplomatiques de la majorité des pays européens, il joue les pyromanes solitaires et parle de la guerre comme inévitable avant même que l'arsenal diplomatique ne soit épuisé. Outre qu'elle le met politiquement dans l'embarras, l'épreuve tchadienne a de fortes chances d'entacher la posture et la crédibilité de Bernard Kouchner sur de nombreuses questions. Signe que cette crise s'inscrit dans le temps avec une logique de sanction politique et juridique, le Premier ministre François Fillon vient de lui commander ainsi qu'à son collègue de la Défense une enquête officielle pour déterminer les responsabilités dans ce qui commence déjà à flairer le reconnaissable parfum du scandale d'Etat. La directive de François Fillon est claire, il s'agit ni plus ni moins de démêler les écheveaux des tribulations de cette association «L'Arche de Zoé» au Tchad et éventuellement de détecter les complicités dont elle a pu bénéficier au sein de l'appareil diplomatique et militaire français: «Pour savoir dans quelles conditions cette association a continué la préparation de son opération, il convient de connaître les circonstances dans lesquelles elle a pu dissimuler sur le terrain son identité et ses agissements aux services de l'Etat, notamment ceux de l'ambassade au Tchad». La démarche de François Fillon semble être une réponse à une violente charge menée par le Parti socialiste contre le chef de la diplomatie française : «il semble en effet que non seulement les autorités françaises étaient au courant du projet de cette association, mais que des autorisations et des assurances aient été données à cette ONG française pour se rendre au Tchad et utiliser les moyens des services français, diplomatiques et militaires. Les responsables de cette association ayant été reçus par le Quai d'Orsay, il ne suffisait pas de les prévenir, il fallait les empêcher d'agir». Il paraît clair, aujourd'hui, que quelle que soit la position à adopter sur le sujet et au delà de la condamnation officielle de ces actes déjà formulée par les plus hautes autorités de l'Etat, Bernard Kouchner se trouve sur le fil du rasoir. «L'Arche de Zoé» ainsi que de nombreuses organisations humanitaires, qui avaient fait du dynamitage de la souveraineté des Etats leur raison d'être , font partie de l'héritage humanitaire qui non seulement l'avait rendu célèbre dans le monde mais avait permis sa captation par Nicolas Sarkozy et son entrée au gouvernement. Bernard Kouchner se trouve pris dans ce piège : comment condamner sans se renier. Sept inculpés libérés L'avion du président Nicolas Sarkozy ramenant du Tchad les trois journalistes français inculpés dans l'affaire de «L'Arche de Zoé» est arrivé dimanche soir, peu avant 23h30, à l'aéroport militaire de Villacoublay. Auparavant, l'avion présidentiel avait fait une brève escale à Madrid pour déposer les quatre hôtesses de l'air espagnoles également inculpées et libérées par la justice tchadienne. Les trois Français et les quatre Espagnoles avaient été libérés au moment où M. Sarkozy arrivait dans la capitale tchadienne, ce qui a mécontenté de nombreux magistrats tchadiens qui ont dénoncé des «pressions politiques». Ces sept personnes restent toutefois poursuivies pour «enlèvement de mineurs», «escroquerie» ou «complicité», comme dix autres Européens et quatre Tchadiens toujours incarcérés à N'Djamena. Le déplacement présidentiel et ces libérations marquent un tournant dans le dossier de la tentative de transport du Tchad vers la France de 103 enfants par l'association française «L'Arche de Zoé», interrompue le 25 octobre par les autorités tchadiennes à Abéché (est). Au cours de sa visite de deux heures, le président Sarkozy a souhaité que les ressortissants français «soient jugés en France», tout en réaffirmant sa «confiance» dans la justice tchadienne.