Neuf Français dont trois journalistes et sept Espagnols croupissent dans les prisons tchadiennes avec une lourde accusation sur les épaules : enlèvement et trafic d'enfants. Le tout Paris politique et diplomatique ne bruit que par cette interrogation : l'affaire de l'Arche de Zoé, organisation humanitaire qui s'apprêtait à évacuer de manière presque clandestine 103 enfants tchadiens qu'on avait présenté au début comme provenant du Darfour, est-elle un éclatant acte humanitaire mal compris ou une dramatique affaire de trafic d'êtres humains sur lequel planent le juteux marché de l'adoption et le spectre de la pédophilie en Europe ? À voir les réactions tranchées et contradictoires qui avaient tenté de décoder cette affaire, la tentation est grande d'y voir un mélange des deux. En attendant que la lumière soit faite sur ses tenants et ses aboutissants, neuf Français dont trois journalistes et sept Espagnols croupissent dans les prisons tchadiennes avec une lourde accusation sur les épaules : enlèvement et trafic d'enfants. Le président tchadien Idriss Déby a été parmi les premiers à décrire, par des mots durs, la gravité de la situation : «C'est un acte horrible que je qualifie de crime. Je le condamne fermement (..) Toutes les dispositions administratives et juridiques seront prises pour que ces gens et leurs complices répondent de leurs actes. Les autorités tchadiennes et soudanaises doivent désormais mettre en œuvre des systèmes de contrôle pour que cela ne se reproduise plus». Suite à cette affaire, Idriss Déby a eu au téléphone le président Nicolas Sarkozy et recueilli de vive voix sa condamnation de cette opération jugée par le président français «illégale» et «inacceptable ». Le Quai d'Orsay, contre lequel pèsent de lourds soupçons de négligence, est monté au créneau en mettant sur place une cellule de crise et en confiant au secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères chargée des droit de l'Homme, Rama Yade, le soin d'éteindre les feux. Devant la stratégie de défense formulée par le ministère de Bernard Kouchner sur le ton : «Nous avons fait tout ce qu'il y avait à faire pour que (cette opération) n'ait pas lieu et si elle a eu lieu, c'est de la manière la plus clandestine qui soit». Les avocats de l'association l'Arche de Zoé qu'on appelle localement « Children Rescue » contre-attaquent. Une des stars du barreau Me Gilbert Collard assène cette vérité qui épaissit d'avantage le voile de brouillard qui entoure cette affaire: «Si l'organisation a été décrétée infréquentable, j'ose espérer qu'on ne mettrait pas des moyens comme des avions militaires à leur disposition. S'il y avait eu une interdiction officielle émanant du Quai d'Orsay, on aurait un document officiel. Il y avait un avion affrété, une autorisation de décoller qui était donnée, on ne transporte pas 103 enfants comme ça sans que tout le monde le sache». Réponse sans détour de Rama Yade : «l'Etat français n'est absolument pas en cause dans l'affaire Arche de Zoé». Rama Yade, pour qui cette crise est une véritable épreuve du feu, tente de concilier des postures contradictoires. Alors qu'elle fait preuve d'une grande fermeté en décochant des critiques dures à l'encontre du monde de l'humanitaire : «L'action humanitaire nécessite un minimum de sérieux et de retenue. Il ne faut pas se lancer dans des opérations comme ça, même avec les meilleures intentions du monde». Elle se fait un devoir de rappeler l'engagement de la France à protéger ses ressortissants : «la France étant bonne mère, nous serons auprès de ces ressortissants français pour les protéger au maximum, pour garantir leurs droits, et jamais nous ne les lâcherons». Et alors que des observateurs avaient tenté de lier la réaction jugée excessive et intransigeante du président Idriss Déby à son refus initial de voir s'installer, dans les semaines à venir, la force Eufor de 4000 mille hommes composées de moitié de Français, à la frontière du Tchad et du Soudan pour sécuriser les réfugiés du Darfour, Rama Yade assure que lors de l'entretien Déby-Sarkozy, le président tchadien aurait assuré que cette force n'était pas remise en cause et «qu'il n'y a aucune conséquence possible» sur son déploiement. Il paraît clair aujourd'hui que Nicolas Sarkozy, qui avait déployé des trésors de diplomatie pour sortir des infirmières bulgares et un médecin palestinien des prisons libyennes, ne ménagera aucun effort pour délivrer les humanitaires européens, français et espagnols, accusés de trafic d'enfants, de leur calvaire tchadien. L'opinion française ne comprendrait pas la moindre distance et la moindre indifférence à leur sort.