Laurent Fabius veut, dans sa démarche de séduction et de reconquête, instrumentaliser sa carte maîtresse du moment : sa résistance remarquée aux sirènes de l'ouverture lancée par Nicolas Sarkozy. Hasard du calendrier ou vraie opportunité politique, la réapparition sur la scène politique française de Laurent Fabius, le troisième concurrent malheureux de la primaire socialiste d'avant les présidentielles, a eu lieu au moment même où son collègue Dominique Strauss Kahn, béni par Nicolas Sarkozy, s'est envolé pour Washington pour y présider le Fonds monétaire international (FMI). Après sa défaite aux primaires au profit de Ségolène Royal, Laurent Fabius, amer, s'était éclipsé sur la pointe des pieds. Il avait mené une campagne de soutien à la candidate socialiste avec une grande discrétion et un détachement visibles qui trahissaient l'ampleur de sa déception de ne pas avoir été choisi comme emblème des socialistes face au candidat de l'UMP. Le voilà aujourd'hui qui revient, tout crocs dehors, l'ambition affichée de jouer un rôle pour «reconstruire la gauche», expression qui, par les temps qui courent, veut dire dans la bouche de tout leader socialiste, prendre le contrôle du Parti socialiste que s'apprête à quitter son actuel premier secrétaire, François Hollande. Critiquant en des mots à peine voilés ceux, au sein du Parti socialiste, qui militent pour reformulation centriste de leur programme, Laurent Fabius s'est posé en gardien de l'héritage : «Les valeurs de la gauche sont parfaitement actuelles et il faut les revendiquer (…) l 'égalité, la laïcité et solidarité». Laurent Fabius veut, dans sa démarche de séduction et de reconquête, instrumentaliser sa carte maîtresse du moment : sa résistance remarquée aux sirènes de l'ouverture lancée par Nicolas Sarkozy. Alors que des éléphants socialistes et non des moindres faisaient les cents pas devant le bureau présidentiel dans l'attente d'un poste ministériel, d'une mission à remplir ou d'un fonction internationale à occuper, Laurent Fabius est resté à l'écart de cette course à l'échalote. Il se positionne comme l'homme-recours et la valeur-référence pour reconstruire la gauche encore traumatisée par ses récents échecs électoraux. Faisant en permanence une radiographie de son échec, Laurent Fabius oublie rarement de décocher quelques flèches empoisonnées et quelques méchantes allusions à ses actuels adversaires : «Moi, je ne suis candidat à rien du tout mais il y a deux choses que je ne veux pas faire : entrer dans des querelles fratricides au PS et disputer le championnat d'Europe des paillettes et des people». Avant de décrire les qualités indispensables au chef qui prendrait naturellement le leadership des socialistes: «S'il y a besoin de solidité, de crédibilité, de solidarité, là tout est ouvert. Mais si c'est des paillettes et des people, ce n'est pas ma conception des choses». Dans cette bataille d'ascension et de contrôle qu'il vient de lancer sur la Rue Solferino, Laurent Fabius sait qu'il doit encore compter avec une Ségolène Royal, mordante et déterminée, plus que jamais convaincue que son récent échec n'était pas dû à son discours ni à sa campagne électorale, mais l'hostilité sourde qui caractérisait les prises de position du Parti socialiste. D'ailleurs, elle laisse planer un doute sur ses ambitions pour le Parti. Va-t-elle briguer la tête du PS lors du prochain Congrès : «Je le déciderai le moment venu (...) si je le veux, si je suis bien accompagnée et si cela correspond à l'intérêt des socialistes et du pays». Le succès de Laurent Fabius dépend aussi d'un autre paramètre, c'est sa capacité à s'opposer et faire entendre une voix critique et crédible de la politique suivie par Nicolas Sarkozy comme il le résume lui même : «Nous avons besoin de déconstruire la droite et de reconstruire la gauche». Après avoir, dans une sortie restée célèbre, fait trébucher en plein campagne Jean Louis Borloo sur la TVA sociale, Laurent Fabius est de ceux qui fournissent à l'opinion un diagnostic sévère, sans concessions de l'action de l'actuel gouvernement dirigé par François Fillon. Les troupes de Fabius sont optimistes pour l'avenir de leur champion , l'un d'eux résume l'état d'esprit général : «Hollande ne sait plus où il habite, Royal ne sait plus ce qu'elle fait, Strauss, on ne sait pas s'il reviendra…on finira par être le pôle de stabilité du parti.»