Bachir Ben Barka, est dans son droit en s'insurgeant contre ce qu'il considère comme une manipulation. Mais il ne peut raisonnablement remettre en cause le contenu des archives sous prétexte que l'on peut leur faire dire ce qu'on veut. La révélation est de taille. «Mehdi Ben Barka a collaboré avec les services tchécoslovaques»! L'auteur de ces révélations (l'Expresse du 5/7/07) est un journaliste tchèque, Petr Zidek, historien de formation, habitué à exhumer ce genre d'archives. Il faut bien l'avouer : ce qu'il dévoile interloque. Qu'on ait eu des affinités politiques avec lui ou pas, le personnage central de «l'attentat» est resté, quatre décennies après sa disparition, un mythe vivant. Faut-il alors s'étonner de cette collaboration ? Le faire, c'est oublier que l'opposant s'était déjà distingué en soutenant en 1963, lors de la guerre des sables, l'Algérie contre le Maroc, son pays. Son hostilité acharnée au pouvoir marocain, de même que son «anti-impérialisme occidental» ne se reconnaissaient aucune limite. Sa proximité avec les services tchèques, et en conséquence le KGB soviétique, peut même se comprendre si l'on retient qu'à cette époque l'internationalisme, communiste s'entend, était un devoir pour tout socialiste qui se respecte. Idéologiquement, c'est en partie sur le schème internationaliste que l'URSS avait bâti son empire des «démocraties populaires.» Dans ce contexte, ce fut même le nationalisme qui était dénoncé comme une déviance bourgeoise. Ce qui désarçonne par contre c'est qu'il a été, selon Petr Zidek, rétribué pour sa collaboration. Même si l'on retient à sa décharge les besoins financiers de l'exilé, comment ne pas voir que ce faisant, il a ainsi franchi le seuil de la motivation de la collaboration par le moteur de l'idéalisme et de la solidarité internationaliste. Son fils, Bachir Ben Barka, est dans son droit en s'insurgeant contre ce qu'il considère comme une manipulation. Mais il ne peut raisonnablement remettre en cause le contenu des archives sous prétexte que l'on peut leur faire dire ce qu'on veut. Car le même argument pourrait s'appliquer aux archives des services français sur la disparition de son père si jamais le secret défense qui les couvre est levé. Souvent, aux abords d'une bourgade isolée au milieu d'une immensité semi-désertique et rocailleuse, je me demande : si j'avais été condamné à y vivre, qu'aurais-je fait de mes journées ? Invariablement, je me réponds : rien, sinon dépérir et périr lentement, de lassitude et d'ennui, sans amour et sans eau fraîche! Jusqu'au jour où trouvant enfin le temps de lire «La colline de papier» de Ali Tizilkad, j'ai eu ma vraie réponse : «le genévrier, le tuya, le romarin et cent autres espèces dont [je] ne sais même pas le nom» seront mes camarades de jeu. «Et d'un petit geste, du mouvement d'une brindille, du son complice d'un grillon, d'une guêpe, de la fraîche ombre [des] branchages suspendus […], en traversant un buisson ou un recoin de ravin, les éléments [me parleront] une langue que [je] ne [distinguerai] pas vraiment, mais que [je sentirai] bienveillante et amicale.» Issiali Aarab, l'autre nom de Ali Tizilkad, a réussi par un texte que se partagent Rabat et Tahanaout, il faut le faire, un récit atrocement autobiographique qui porte en lui sa propre romance et sa propre poésie. Avec humour, on y vit de rien et on y meurt d'avoir vu mourir son amour. Posant sur une enfance ingrate, au large de la «Cuvette de Jerada, véritable camp retranché en dehors du temps et de l'humain», un regard nostalgique et attendri, Ali a pu dire sobrement comment la mort du figuier ancêtre emporté par les eaux peut incarner le décès de l'oncle Ouzdad presque à l'instant même où la terre couvrait de sa clémence la dépouille asséchée du vénérable vieillard. Jerada, le néant ? Plutôt un infini pour un récit subtilement animé. Derrière chaque mot, frétille une vie qui, comme la nature, a horreur du vide.