Un souffle d'émotion a parcouru le Grand Palais éphémère, ce samedi 12 avril 2025, alors que l'ombre bienveillante d'Edmond Amran El Maleh planait sur la capitale française. L'écrivain et penseur marocain, figure incontournable de la littérature du XXe siècle, a été honoré dans le cadre de la programmation « Lettres du Maroc », temps fort du Pavillon du Maroc, invité d'honneur du Festival du livre de Paris. La cérémonie s'est tenue sous la houlette de Driss Khrouz, président de la fondation portant le nom de l'écrivain. Elle a réuni un parterre de personnalités et d'intellectuels proches de l'œuvre et de l'homme, parmi lesquels André Azoulay, Conseiller du Roi et président fondateur de l'Association Essaouira-Mogador, l'universitaire Mohamed Tozy, et la réalisatrice et auteure Simone Bitton. Devant un public nombreux et attentif, les interventions ont convergé pour dessiner les contours d'un homme dont l'héritage littéraire, intellectuel et spirituel continue de rayonner. Tant son parcours singulier que sa plume incisive et sa vision du monde nourrie d'un imaginaire débordant ont été au cœur des échanges. Prenant la parole avec émotion, André Azoulay a évoqué la mémoire de celui qu'il appelait « Hajj Edmond », un compagnon de pensée et de combat. « Il aurait été le plus heureux des Marocains en ce 12 avril, entouré de milliers de visiteurs réunis pour célébrer les livres et la pensée », a-t-il confié. Il a rappelé leur attachement commun à Essaouira, ville-source de nombreuses pages écrites par El Maleh, « ce Judaïsme éclairé » qui, selon lui, leur a appris très tôt qu'« en veillant à la dignité et à la liberté de l'autre, même s'il n'était pas Juif, se forgeaient les fondations de l'éthique, de la pérennité et de la modernité du Judaïsme marocain ». L'hommage fut aussi l'occasion de revenir sur le caractère indomptable de l'écrivain, farouchement engagé jusqu'à son dernier souffle. Azoulay a souligné la fidélité de l'auteur à ses convictions, à ses indignations, à ses colères, notamment lorsque son pays, le Maroc, lui semblait trahi ou incompris par ceux qui n'avaient pas su, selon lui, en mesurer la richesse civilisationnelle et patrimoniale. « Un militant, un pédagogue, un poète, un critique d'art, un philosophe et un épicurien », a résumé Azoulay, dessinant en quelques mots la figure d'un homme aux multiples visages, porteur d'un Maroc pluriel et profond. Il a insisté sur le rôle essentiel qu'a joué El Maleh dans la reconnaissance et la valorisation des arts contemporains marocains, s'élevant contre les tentatives de séparation entre l'Art et l'Artisanat, soulignant au contraire leur complémentarité enracinée dans « nos traditions millénaires ». S'appuyant sur les écrits de l'écrivain, il a rappelé la richesse esthétique de la culture marocaine, citant Delacroix et Matisse qui virent dans l'univers marocain une source d'inspiration inépuisable. André Azoulay a notamment salué le choix affirmé d'Edmond Amran El Maleh, dès 1976, de soutenir avec vigueur l'école marocaine des arts plastiques et des figures majeures comme Ahmed Cherkaoui. Ce dernier avait, selon ses mots, « ouvert la voie à une peinture marocaine digne des cimaises des plus grands musées ». « Il était le peintre des mots », a-t-il poursuivi, invitant l'assistance à redécouvrir ses écrits qui démontrent l'importance des arts plastiques comme vecteurs contemporains de l'expression culturelle nationale. Mohamed Tozy, de son côté, a souligné une autre facette de cet intellectuel hors normes : celle de l'homme politique reconverti en écrivain. Une transition tardive, mais fondatrice, selon lui. « Sa littérature est marquée par une écriture fragmentée, en éclats », a-t-il observé, estimant que son œuvre s'inscrit dans une entreprise de reconstruction du récit marocain, dont l'aboutissement se manifeste symboliquement dans la Constitution de 2011, dont le préambule célèbre l'identité plurielle du pays. Cette pluralité, Simone Bitton l'a explorée dans son dernier documentaire, Les mille et un jours du Hajj Edmond (2024), qu'elle a présenté comme un voyage dans l'âme d'un homme aux multiples visages. Elle a décrit El Maleh comme un écrivain de la maturité, libéré après soixante ans de ce qu'elle appelle « la langue de bois » pour embrasser une expression littéraire libre, personnelle, multiforme. Pendant plus de trente ans, il écrivit « tous les jours et de tout » : des tracts politiques aux critiques d'art, en passant par des romans et des recettes de cuisine. Cette abondance d'écriture témoigne d'un esprit insatiable, avide de dire, de transmettre, de transmettre encore. Bitton a salué l'homme autant que l'auteur, soulignant combien son œuvre a enrichi sa propre perception des arts plastiques au Maroc. La rencontre s'est conclue sur une note mystique, certains intervenants évoquant la profondeur spirituelle qui traverse les textes d'El Maleh. Le public, conquis, a salué avec chaleur l'initiative de la Fondation Edmond Amran El Maleh, qui s'est engagée à rééditer l'ensemble de ses écrits pour les rendre à nouveau accessibles. Ce vibrant hommage s'inscrit dans un contexte culturel fort : le Maroc est cette année l'invité d'honneur du Festival du livre de Paris, avec un pavillon de 330 m2 proposant une programmation foisonnante. Pas moins de 28 rencontres littéraires, 16 panels, 10 présentations de livres, deux performances artistiques (slam et théâtre) et un panel international autour du thème « Destin atlantique France-Maroc » rythment l'événement, placé cette année sous le signe de la mer. Un écrin idéal pour saluer la mémoire d'un écrivain qui aura su, toute sa vie, naviguer entre les rives de l'intime et du politique, entre la mémoire et l'imaginaire, entre le Maroc d'hier et celui de demain.