L'affaire Mehdi Ben Barka sert, comme par le passé, plus à masquer des carences ou des difficultés réelles qu'à montrer une exigence morale pour la recherche de la vérité. L'usage que peut continuer à faire une fraction de la gauche marocaine de la mémoire de Mehdi Ben Barka est assez compréhensible sur le plan tactique ou politicien. Il est, en fait, très utile politiquement de remettre en avant la disparition, il y a 40 ans, de Mehdi Ben Barka à un moment où il y a de vraies difficultés pour certains partis politiques à définir une identité, à construire un projet, à affirmer des valeurs ou à tisser des alliances crédibles. L'affaire Mehdi Ben Barka sert, comme par le passé, plus à masquer des carences ou des difficultés réelles qu'à montrer une exigence morale pour la recherche de la vérité. Certains dirigeants de l'USFP considèrent qu'il ne faut pas créditer outre mesure le Palais des avancées de l'IER dans la recherche de la vérité et de la réparation. Ils pensent, par ailleurs, qu'il faut surtout, pour minimiser ces avancées, s'arc-bouter sur l'affaire Ben Barka afin d'améliorer la capacité de nuisance - donc de négociation - du parti. Cette posture représente, pour des raisons simples, un très mauvais calcul politique. D'abord, parce qu'on ne peut pas faire la politique aujourd'hui avec les lunettes du passé. Le jeu politique marocain n'est plus le même. Il fonctionne sur d'autres paramètres. Et le Chef de l'Etat lui-même ne semble pas avoir d'appétence particulière pour les jeux politiciens. Le paradigme a changé. Il ne faut pas à ce niveau que les dirigeants socialistes se trompent de protagoniste et surtout de période. Ensuite il faut reconnaître que, ces dernières années, les partis politiques marocains dans leur ensemble ont perdu la main. Il n'ont plus l'initiative ni de la réforme, ni de la transformation sociale, ni du débat. À une exception près, dangereuse et que personne ne combat, leur ascendant sur la société a baissé. Ils ne sont plus en mesure d'imprimer leur marque au changement que vit le pays. Les chantiers notamment de la modernisation, de la démocratisation ou du développement humain leur échappent. Le chantier de la vérité et de la réconciliation a globalement abouti sans – c'est le moins que l'on puisse dire - un soutien ou une mobilisation manifeste de leur part. Bien au contraire. Alors que reste-t-il de nos amours comme dit la chanson célèbre ? Pratiquement rien en attendant que la loi sur les partis politiques donne un jour miraculeusement son miel. Sinon, il n'y a rien de nouveau sous le ciel partisan. La transition politique vers la démocratie continue à être portée dans notre pays par une volonté royale résolue en conjonction avec l'action sincère et patriotique d'un certain nombre de personnalités crédibles de la société civile représentées à l'IER, au CCDH ou plus largement dans la commission qui a travaillé sur le rapport du cinquantenaire. Que ces personnalités aient été par le passé des détenus ou des victimes de violations des droits de l'Homme cela accentue la marginalisation des vieux partis politiques et donne un sens profond au projet moderniste et démocratique inédit sur lequel notre pays travaille. Bien sûr, qu'il faut continuer à chercher la vérité dans l'affaire Ben Barka au Maroc, en Israël, aux USA et en France. Mais il ne faudrait pas, quand on aspire à la responsabilité politique et à la gestion des affaires, construire sur cette recherche légitime de la vérité une posture politique nihiliste. Cela s'appelle une régression et celle-ci pourrait être fatale.