Le passage d'Eric Besson que la presse présentait comme l'ancien «chiffreur» du programme présidentiel de Ségolène Royal au camp adverse fut un coup dur pour le Parti socialiste. Avec Ségolène Royal, sa notoriété politique ne dépassait pas la 2ème circonscription de la Drôme et son savoir-faire économique ne rayonnait pas au-delà de la rue Solferino, siège du Parti socialiste ou de quelques officines confidentielles. Avec Nicolas Sarkozy, non seulement il s'assied sur un maroquin ministériel, secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques publiques dans le gouvernement Fillon, mais son portrait fut mondialement diffusé comme l'homme ayant provoqué une accélération majeure de la vie politique française. L'homme s'appelle Eric Besson, marocain de naissance puisqu'il vit le jour un 2 avril 1958 à Marrakech, de mère Libanaise et d'un père pilote instructeur dans l'armée française. Il a rejoint la France à l'âge de 17 ans. En pleine campagne des présidentielles, il quitte le navire socialiste qui commençait à tanguer sous le poids des interrogations et du doute et passe avec armes et bagages à la maison Sarkozy. La surprise fut d'autant plus grande que quelques semaines plutôt, il avait particulièrement excellé dans le pilonnage du candidat de la droite. Ce fut lui qui coordonna pour le Parti socialiste, en janvier, un ouvrage intitulé «L'inquiétante “rupture tranquille“ de Monsieur Sarkozy]» où il formulait cette question assassine : «La France est elle prête à voter en 2007 pour un néoconservateur américain à passeport français ?». Il accusait Nicolas Sarkozy d'avoir un «un ego largement plus dilaté que la moyenne» et dont la campagne était «une arme de dissimulation massive (…) après des passages survoltés mais médiocres dans différents ministères». Eric Besson que la presse présentait comme l'ancien «chiffreur» du programme présidentiel de Ségolène Royal occupait la fonction de secrétaire national à l'Economie. Son passage au camp adverse fut un coup rude dont la magnitude était tellement profonde que le Parti socialiste a du mal à s'en remettre. Le pugilat fut public et intense. A un «qui connaît Monsieur Besson» méprisant d'une Ségolène Royal en colère, Eric Besson répond par un livre dont les politologues ne mesurent pas encore les répercussions sur le cours de la campagne intitulée «Qui connaît Madame Royal» aux éditions Grasset tiré à 130.000 exemplaires, et qui est un succès de librairie. Un livre réquisitoire où le mythe Ségolène, qui semblait tellement plaire aux Français, était patiemment démonté : «Seule sa propre gloire la motive, elle use et abuse de la démagogie». La rancune des socialistes demeure tenace. Il y a une légende dont le «Canard enchaîné » s'est fait récemment l'écho et qui veut que lors du coup de téléphone que Ségolène Royal a eu avec Nicolas Sarkozy pour le féliciter, selon les usages républicains, de sa victoire, elle aurait tenté de le dissuader de confier à Eric Besson une responsabilité gouvernemental, pour ne pas encourager «la félonie». Si cette démarche était réelle, elle n'aurait pas été d'une grande efficacité. Eric Besson est nommé secrétaire d'Etat chargé de la Prospective et de l'Evaluation des politiques. Il veut mettre fin à ce débat sur le transfuge récompensé, le traitre qui a fait perdre sa famille contre un strapontin à côté de Nicolas Sarkozy. Voilà d'ailleurs en quels termes il commente la grâce gouvernementale qui vient de le toucher : «C'est une main tendue qui, au-delà des cas individuels, sera bénéfique pour la réforme de la France». En parvenant à attirer vers lui, à la veille des législatives, des profils aussi marqués que le flottant Bernard Kouchner, ou Hervé Morin, un des leaders de l'UDF que dirige le rebelle centriste François Bayrou ou l'homme de gauche avéré Eric Besson, Nicolas Sarkozy a fait preuve d'une ouverture machiavélique. Par un simple coup, il réalise plusieurs objectifs. Il s'agit, en premier, de tordre le coup à sa réputation installée d'homme dangereusement sectaire, d'intraitable chef de clan. Il s'agit ensuite de mettre ses adversaires de gauche dans une situation difficile ou les structures partisanes fragiles peuvent imploser sous l'effet des contradictions. Il s'agit en fin de s'imposer comme l'homme du consensus ardemment souhaité par les Français. D'ailleurs, un responsable socialiste, Claude Bartolone, fait ce constat lucide sur les effets politiques ravageurs de «l'ouverture» pratiquée par Nicolas Sarkozy : « Bayrou l'avait promise, Ségolène en a rêvé et Sarko l'a faite. Résultat, on ne peut plus faire campagne sur le thème Sarko=Facho».