En fait de livre, Ali Tizilkad a su attendre. Rodé par tant d'années de journalisme, ce parfait bilingue signe, à l'âge de cinquante-six ans, un excellent premier récit : «La Colline de papier». L'enfance d'Ali Tizilkad n'a pas pris de rides, il a su la mettre, avec le soin que l'on prend pour cacher un objet cher, à l'abri de toutes les vicissitudes. Du haut de ses cinquante-six ans, il la restitue, dans son premier et néanmoins excellent récit «La Colline de papier», avec la précision du journaliste (l'historien de l'instant) et la patine de l'orfèvre qui moule de l'or pour nous fabriquer des motifs séduisants. Dangereusement séduisants. «La Colline de papier» n'est pas un «jeu d'enfant». S'agissant du titre, considéré comme la clef de voûte de toute entreprise littéraire, l'auteur cultive le mystère. S'agit-il d'une colline de «papier» ; autrement dit, d'un pur produit de la fiction ? Loin de là, «La Colline de papier », le théâtre où se déroule d'ailleurs le principal du récit, est le lieu où l'auteur-narrateur a bel et bien vécu son enfance. Si on traduit ce titre du français en amazigh, voilà ce que cela donne : «Tizilkadh». Le nom, ou le surnom de l'auteur, Ali Tizilkad, se confond à s'y méprendre avec le lieu de son enfance, situé dans la région de Jérada. Le titre cristallise à lui seul le sens, voire l'essence, de toute l'œuvre. Au-delà des noms, dont le choix n'est point arbitraire, c'est une partie de l'histoire de cette colline qui se confond avec une tranche de vie de l'auteur : cette histoire se déroule entre 1953 et 1961. «De toute ma vie à Tizilkadh, je n'ai gardé finalement que de bons souvenirs», déclare le narrateur dans un récit à plusieurs voix (polyphonique). Il y a le «je » autobiographique, partie prenante de l'histoire; il y a aussi le «je/jeu» de la narration ; et il y a finalement le «je» de l'auteur qui, cinquante six ans plus tard, revient sur sa terre natale pour nous livrer, avec le recul nécessaire, le fruit d'une histoire, certes personnelle, mais qui ne laisse pas indifférent. Le «je» s'avère un enjeu commun, ou pour reprendre une expression rimbaldienne (Arthur Rimbaud), «le je est un autre». L'œuvre d'Ali Tizilkad ne relève pas de ce que l'on peut appeler «l'écriture intérieure» ; si elle est dictée à l'origine par un besoin d'expression, son souci principal reste celui du partage. Or, que peut-on partager avec l'auteur de cette œuvre ? C'est le parcours d'un enfant qui, en dépit de l'inhospitalité de son lieu natal, a réussi à forcer la main du destin pour remonter la pente, à l'image d'un Sisyphe. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce premier récit s'achève sur un happy-end : l'enfant finit par décrocher son CEP (Certificat d'études primaires). C'est la volonté de l'enfant qui finit par avoir raison de tout, y compris des pierres des minerais de Jérada, pour rester dans la sphère, ou l'atmosphère, du récit. Un récit vivace, voire théâtralisé ; il montre, il se prête non seulement à lire, mais aussi et surtout à voir, quitte à être adapté facilement au cinéma. Avec un style limpide, mais décapant, l'auteur nous restitue le «film» d'événements qui nous édifient sur une partie de l'histoire de l'Oriental, soit les années cinquante et soixante du siècle précédent. On y découvre la complexité, voire le côté tragique, des rapports tribaux; ajouter à cela la vie des miniers, avec son lot de «vexantes brimades» distribuées par les «hordes de chefaillons», le phénomène de la promiscuité… Une cruauté que l'auteur a su édulcorer en restituant la chaleur et la tendresse des premières et donc des plus belles années de la vie : l'enfance.