La Chambre des conseillers n'a plus de raison d'être. Abdelkarim Benatiq, chef du parti travailliste, persiste et signe. Entretien. ALM : Après les récentes fraudes électorales enregistrées lors de l'opération de renouvellement du tiers de la Chambre des conseillers, sous quel jour se présente l'actuelle législature ? Cette dernière ne risque-t-elle pas d'en pâtir ? Abdelkarim Benatiq : Quand la majorité a proposé son projet de Code électoral, et malgré notre désaccord sur plusieurs points, nous avons cru que ce projet allait apporter un nouveau souffle de crédibilité pour l'avenir. Tout le monde était convaincu que le Maroc allait rompre avec les anciennes pratiques. Malheureusement, cela n'est pas le cas. C'est cette même majorité qui est responsable, directement ou indirectement, des fraudes qui ont entaché la crédibilité de la dernière opération électorale. Notre pays est arrivé à un stade où ce n'est plus la responsabilité de l'Etat qui est mise en doute dans ce genre d'opérations, la crédibilité des «partis du mouvement national» est aussi en jeu. Nombre de partis qui font partie de la majorité ont accordé leurs accréditations à des députés véreux. Etes-vous toujours pour la dissolution de la Chambre des conseillers ? Auparavant, on avait besoin de cette institution créée dans le contexte de l'alternance politique. Le rôle attendu de cette Chambre était de créer une sorte d'équilibre politique. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, cette Chambre doit disparaître et être remplacée par le Conseil économique et social. Ce dernier sera capable de jouer son rôle en tant que relais entre la décision politique et les différents acteurs de la Nation. Vous avez annoncé récemment la création d'un «Front pour la transparence des élections » ? Quels sont vos objectifs ? Ce front de valeurs a pour objectif de mobiliser tous les Marocains afin qu'ils soient partie prenante et présents dans le combat pour la transparence. Nous avons créé ce front pour dire que l'utilisation de l'argent ne permet pas au Maroc d'avoir des institutions crédibles, que ce fléau démotive les Marocains qui ne s'intéressent plus à la chose politique. Notre objectif est de rassembler au-delà des appartenances partisanes, de montrer que la transparence doit être une valeur partagée par toutes les tendances et une culture enracinée dans les mœurs politiques des Marocains. Nous allons lancer des forums populaires où les gens vont débattre librement des moyens de faire face à l'utilisation de l'argent ; nous allons organiser, au printemps prochain à Rabat , un grand forum populaire où il y aura des milliers de participants animés par différents acteurs politiques, militants de la société civile, artistes, intellectuels et puis des militants qui viendront de l'extérieur, notamment d'Europe et d'Amérique Latine, car nous considérons que les valeurs de la transparence n'ont pas de frontière géographique. Pour vous, l'utilisation de l'argent expliquerait-elle à elle seule le désintérêt des Marocains pour la politique ? Les Marocains ont participé massivement lors des élections de 1963 et de 1976. Après, quand ils ont constaté que l'Administration a fabriqué à leur place des majorités politiques, ils ont préféré s'abstenir. Ce désintérêt est dû à une simple raison, c'est qu'on ne respecte pas le choix des citoyens et qu'on agit à leur place pour choisir leurs représentants. C'est le problème de fond au Maroc. Etes-vous toujours opposé au projet de loi portant création du Code électoral ? Ce projet de loi est anti-constitutionnel, il ne favorise pas la participation de tous les Marocains et ceux qui l'ont préparé avaient pour souci principal de préserver leurs intérêts politiques, au lieu de favoriser un vrai débat de fond. Oukacha pour un troisième mandat Le RNI Mustapha Oukacha part encore favori pour un troisième mandat de trois ans à la présidence de la Chambre des conseillers. Malgré mille et une escarmouches des partis de la majorité notamment, M. Oukacha fédère et est toujours au centre d'un large consensus. Respecté par les membres de la Chambre qu'il préside depuis six ans déjà (après l'unique mandat de Jalal Essaïd), il est pressenti pour sa propre succession. Le parti de l'Istiqlal, grand "gagnant" lors du dernier scrutin partiel, estimait que c'était un droit acquis que d'accaparer la présidence. Abdelhak Tazi, sans réelles chances, est toujours dans la course. Le candidat PI aurait même remporté l'adhésion de l'USFP et du PPS. Pour un conseiller, ces "petits calculs" ne signifient rien. "Les votes n'obéissent à aucune logique dans cette Chambre", ajoute-t-il. Mohamed Fadili, secrétaire-adjoint du Mouvement populaire, malgré des divergences de vue au sein de la famille harakie, est également dans la course au perchoir de la deuxième Chambre. L'opposition, elle, fait bloc, en plus du RNI, derrière Mustapha Oukacha. A 73 ans, ce dernier a accumulé une solide expérience tant en affaires qu'en politique. M. Oukacha a présidé une commune rurale pendant 28 ans (Moualine El Oued, Benslimane) et était parmi les hommes les plus influents, pendant plusieurs décennies, pour la gestion de la chose locale. Député entre 1977 et 1992, de la levée de l'état d'exception au processus de révision de la Constitution, Mustapha Oukacha est désigné premier-vice président de la Chambre des conseillers à la création de cette dernière. Trois ans plus tard, il s'empare du poste pour deux mandats successifs. Lundi au plus tard, et sauf grosse surprise, il sera reconduit dans les mêmes fonctions. M. Oukacha est président de l'Association des Sénats du monde arabe et de l'Afrique.