Jamal Eddine Rouissi, frère de Abdelhak disparu en 1964, estime que la famille peut garder l'espoir après les tests ADN ordonnés par la justice. Pour ce militant associatif, la famille Rouissi tournera la page, mais tient à son droit de savoir ce qui s'est passé. ALM : Quelle a été votre réaction quand vous avez été informé de la découverte de la présumée tombe de Abdelhak Rouissi ? Jamal Eddine Rouissi : Nous avons été informés par le CCDH (Conseil consultatif des droits de l'Homme, NDLR) quant à l'éventualité que la tombe de Abdelhak soit l'une de deux tombes attribuées à deux inconnus inhumés au cimetière de Sbata. Le CCDH a entrepris plusieurs démarches dont celle de soumettre le dossier au parquet de Casablanca et la demande d'analyses ADN. Notre sentiment oscille en fait entre deux extrémités. D'abord le sentiment que, après 41 ans de disparition et de longues années de lutte pour la vérité, nos efforts n'ont pas été vains même s'il s'agit toujours de résultats partiels relevant toujours du domaine du possible. Mais en même temps une grande tristesse, quand on sait que père, mère et soeurs de Abdelhak, décédés, n'ont pu assister à cet instant. C'est aussi tout le sentiment que laissent les graves crimes commis contre notre famille et contre Abdelhak à l'âge de 25 ans. D'après vous, quels étaient les critères sur lesquels s'est basé le CCDH pour la découverte de ce qui pourrait être la tombe de votre frère ? Nous avons été convoqués le 19 janvier dernier pour assister à l'ouverture de deux tombes en présence des autorités locales, de membres du CCDH et du représentant du parquet. Tout a été possible grâce à un registre du cimetière de Sbata appelé "Registre des inconnus". Sur ce registre, figurent deux tombes. L'une appartient à un mort totalement inconnu puisqu'il est enregistré sous la mention "X fils de X". La deuxième tombe est celle d'un mort connu juste avec son prénom: Abdelhak. Ces deux tombes anonymes ont été découvertes par l'IER lors des investigations de cette dernière concernant le groupe de Cheikh El Arab. D'autres indices permettent l'espoir. C'est le cas des dates d'inhumation relevées sur ce registre, à savoir le 9 octobre 1964 et le 16 novembre de la même année. Soit des dates proches de celle de l'enlèvement de Abdelhak. La médecine légale était de la partie selon les normes connues dans ce domaine et des prélèvements ont été faits. En tant que membres de la famille Rouissi, nous avons découvert un autre élément ou indice anthropologique. La dentition de la deuxième dépouille présente beaucoup de similitude avec celle de Abdelhak et notamment avec un petit espace entre les incisives. C'est un détail d'extrême importance. Que pensez-vous du fait que de majeures découvertes sont faites juste avant la fin du mandat de l'IER ou juste après ? Mon appréciation ne saurait être qu'une sorte d'interprétation purement personnelle. Je peux toutefois dire que le temps imparti à l'IER était insuffisant vu la longue période sur laquelle elle était appelée à travailler : 43 ans pleins d'événements. Il y a un autre élément qui a été formulé par l'IER elle-même et il s'agit-là de la coopération des services de sécurité qualifiée d'"inégale". Moi, je dirais qu'il y avait plutôt de grands obstacles dressés devant son travail par quelques services et par les responsables des violations des droits de l'Homme. S'il s'avère que la dépouille faisant l'objet de tests ADN est bien celle de votre frère, pourriez-vous dire que ce dossier est définitivement clos ? Absolument pas ! Nous pourrons entreprendre plusieurs autres démarches pour demander, par exemple, une autopsie pour déterminer les causes exactes du décès. Le deuxième aspect qui nous préoccupera à ce moment sera aussi de demander à savoir exactement ce qui s'est passé entre le 4 octobre 1964, date de l'enlèvement de Abdelhak, et le 16 novembre de la même année, date de l'inhumation de la dépouille. Nous voudrons savoir comment tout cela s'est passé, comment, quand et où? C'est notre droit le plus absolu.