Il est indispensable d'imposer un «legs» qui serait, réellement, l'authentique testament du chef du gouvernement assassiné. Un testament que ni Shimon Peres ni Ehoud Barak n'auront su exécuter. Le 6 novembre 2005 a été commémoré l'assassinat du président du Conseil des ministres d'Israël, Itshac Rabin, par un jeune religieux fanatisé, a-t-il dit, par les déclarations de ses maîtres. L'assassinat du signataire des Accords d'Oslo à Washington, le 13 septembre 1993, a été la perte d'un général devenu un homme d'Etat, un homme de la paix, un homme du réalisme politique. En un mot, comme l'a écrit Jacques Chirac, dans un article de Yediot Aharonot, le quotidien populaire israélien, dans son édition de jeudi dernier, sous le titre : «Nous n'avons pas oublié» : «Rabin restera dans l'histoire un grand homme d'Etat, un soldat courageux qui s'est transformé en combattant de la paix. Un patriote sans compromis, un dirigeant déterminé qui a su repousser l'illusion de l'inévitabilité du conflit et ouvrir, avec courage, le chemin de l'espoir». Mais cet espoir a été considéré par les fanatiques religieux et d'extrême droite de la société israélienne, comme «un danger pour leurs implantations (colonies) en Judée-Samarie (Cisjordanie)». Dix ans après, non seulement ils n'ont rien compris, mais vont jusqu'à demander la grâce au profit de l'assassin d'un homme d'Etat qui organisait la paix et que nul n'a pu remplacer. Déjà, il y a cinq ans environ, à l'approche de l'anniversaire de l'assassinat de Rabin, l'association pour la perpétuation de sa mémoire avait réuni un groupe d'intellectuels pour discuter de la manière de commémorer cet évènement. Un acte traumatisant qui a changé la vie de l'Etat d'Israël et du peuple juif dans le monde. Certains étaient allés, alors, jusqu'à proposer d'éviter de transformer ce jour anniversaire en acte d'accusation évident, contre la droite. Pourtant, on avait eu raison de le faire, au lendemain du crime politique, pendant les premières années. Aujourd'hui, nul ne peut nier, rappelle Israël Harel, éditorialiste du quotidien Haaretz, la nécessité de proclamer qu'il s'agit du jour de la négation de la violence, sous toutes ses formes : «De l'éducation en vue de la tolérance, de l'acceptation de l'autorité de la démocratie et du rejet de l'incitation à la haine». C'est alors que des propositions, pour inclure dans les cérémonies officielles, les représentants de tous les partis politiques, condamnant l'assassinat, malgré les réticences de la famille Rabin contre certaines personnalités de la droite, comme Benyamin Netanyahou, ont été entendues. Avec hésitation, mais incomplètement appliquée, la veuve Léa Rabin ayant adopté une position médiane ... Des trop nombreuses cérémonies prévues, selon des religieux ou des extrémistes de droite, pour marquer le dixième anniversaire, le 6 novembre 2005, il était à craindre que l'approche des organisateurs soit, cette fois, différente. Les cérémonies officielles ont inclu des aspects politiques controversés, ce que l'on appelle «le legs de Rabin». Donc, la journée de commémoration nationale, ayant pour objectif naturel l'unité et la réconciliation, pouvait devenir un jour l'approfondissement des divergences et des controverses. Une conséquence des relents du «traumatisme du désengagement de Gaza», affirmeront les religieux fanatiques. D'autant que Rabin devait le faire naturellement dans le cadre de l'accord d'Oslo, négocié et signé par les deux parties israélienne et palestinienne ... L'éditorialiste du quotidien Haaretz n'hésitera pas à rappeler les critiques des partisans du mouvement de gauche «La Paix Maintenant» ou ceux du parti Meretz, de Yossi Beilin. Ces responsables de multiples manifestations contre ltshac Rabin qui, à présent, est adopté, par eux, comme un guide politique pour la paix et le droit négocié des Palestiniens pour leur territoire national. Donc plus que cela, contrairement à l'analyse citée, ceux pour qui la mémoire de Rabin reste chère, ont le droit d'exclure de la participation à la journée du Souvenir, les extrémistes israéliens qui refusent de tirer les véritables leçons des graves évènements d'il y a dix ans. En vérité, il est indispensable d'imposer un «legs» qui serait, réellement, l'authentique testament du chef du gouvernement assassiné. Ce testament que ni Shimon Peres ni Ehoud Barak n'auront su exécuter. Pourtant, un mois avant son assassinat, Itshac Rabin avait exposé, le 5 octobre 1995, ses véritables idées, dans un discours devant le Parlement (Knesset). En rappelant le nouvel accord d'Oslo (dit Oslo II) concernant le retour au contrôle des Palestiniens de leurs grandes villes, Rabin a dit, solennellement : « Nous ne reviendrons jamais aux frontières du 4 juin 1967. Les frontières d'Israël dans l'accord final seront au-delà des lignes d'avant la guerre des six jours». En pensant, aussi, au retour du Golan à la Syrie... Dans la nouvelle réalité d'Ariel Sharon, les retraits profonds sont, aujourd'hui, encore plus favorables à l'Etat palestinien, que Rabin avait pourtant prévu. Dans le texte de Jacques Chirac, qui avait bien compris la conviction politique de Rabin, on peut lire : «L'assassin voulait tuer la paix dont Rabin symbolisait l'espoir. Nous devons tous proclamer, aujourd'hui, pour ce dixième anniversaire, que l'assassin a échoué. Il a échoué, ajoute Jacques Chirac, car malgré le déferlement du terrorisme que rien ne peut justifier, les acquis d'Oslo restent vivants, à savoir: le droit à l'existence d'Israël et à sa sécurité, le droit à l'autodétermination du peuple palestinien sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, une paix basée sur la négociation (pour la création de l'Etat palestinien). L'assassin, ajoute encore Jacques Chirac, a échoué parce qu'Israël et l'Autorité palestinienne, avec le soutien de la communauté internationale, sont d'accord pour promouvoir la «feuille de route». Donc côte à côte. Il a échoué en raison de l'émotion qui nous étreint en nous souvenant du courage de Rabin qui restera sa marque dans l'Histoire (...) De combattant pour la paix que nous n'oublierons jamais». Si tous reviennent, enfin, aux buts de l'«Accord de Paix», il n'y aurait rien à ajouter ... Pour qu'une telle solution définitive soit envisagée, il faut que la situation politique intérieure israélienne soit, également, résolue. Il y a encore, tout à attendre, en Israël, après l'assassinat du «chef mythologique» du parti travailliste, alors au pouvoir. Aujourd'hui, ce parti reste toujours bâillonné par ses échecs. Il n'arrive pas à trouver son chemin. Il oscille entre espoir et déceptions : «Entre un vieillard dirigeant du passé (Shimon Peres) et des candidats instantanés, écrit le chroniqueur de Haaretz Yossi Verter, qui tombent dans des actions de foire. Entre la gauche et le centre, le socialisme et le capitalisme. Entre la laïcité et la tradition». Comme nous l'avons écrit dans notre livre, Une Crise et des Hommes (1999), la disparition de son «chef mythologique» a fait perdre le Nord au parti travailliste, mais aussi au camp de la paix. Ehoud Barak est apparu, en 1999, comme le continuateur de Rabin, mais a échoué, chassé à coups de pierres en 18 mois à peine. Depuis, le parti travailliste n'a pas pu produire un dirigeant de la trempe de Rabin et l'on ne voit, encore, rien à l'horizon. Rabin était le seul à avoir su faire coexister gauche et droite, riches et pauvres, laïcs et orthodoxes. Mais aussi, Américains, Palestiniens et le monde entier. Car, pour lui, les Accords d'Oslo étaient la solution pour l'avenir. Aucun de ses successeurs n'a pu faire preuve de telles qualités : Shimon Peres manque d'un véritable charisme à l'intérieur et d'un activisme sécuritaire. Ehoud Barak a manqué d'expérience, de maturité, voire d'une intelligence sentimentale et non pas seulement militaire. Tous, candidats passés et présents, manquent de ce que représentait l'homme d'Etat Rabin : au point que, près de la moitié des électeurs du parti travailliste continuent à voir en Ariel Sharon, leur dirigeant, celui qui, depuis 2001, leur rappelle leur héros assassiné, par ses initiatives osées (désengagement de Gaza). Selon un jeune dirigeant travailliste, si Itshac Rabin était encore là pour vaincre et gouverner, il aurait trouvé des collaborateurs de qualité. Mais l'assassinat a éliminé un dirigeant. Il a laissé une génération sans tuteur qui aurait pu former un successeur potentiel, pour prendre sa place de dirigeant. Moins d'un an après l'assassinat, répétons le, Shimon Peres a laissé la place à l'extrémiste de droite Netanyahou ; Ehoud Barak a échoué dans l'effondrement. Après cette chute, Shimon Peres essaie de se présenter, en Winston Churchill, pendant 40 ans, voulant garder la présidence de son parti. Plusieurs militants reconnaissent : «il y a un message, on peut le discuter, sans nier son don de dirigeant reconnu à l'étranger ...». Mais comment lutter pour lui, si longtemps à l'intérieur ? Il faut admettre, toutefois, que le parti travailliste (Avoda) reste, avec la vraie gauche israélienne, le camp de la paix, de la certitude d'une paix grâce à la constitution d'un Etat palestinien dans des frontières définitives, mais négociées. Le parti Avoda a perdu la voie sur le plan intérieur. Il a gardé la même politique à l'égard du conflit israélo-palestinien, qui ne comporte aucune alternative, en dehors d'un Etat palestinien définitif aux côtés d'un Etat israélien, chacun dans la paix et la sécurité ...