Le pétrole a-t-il un effet euphorisant sur les dirigeants algériens ? L'Algérie ne cesse de battre des records cette année d'entrées en devises. La cagnotte actuelle est estimée à 46 milliards de dollars en réserves de change, ce qui couvrirait selon les experts financiers trois ans d'importations. Il n'y a aucun doute que les prix élevés du pétrole ces dernières années, dont le baril s'échangeait entre 45 et 60 dollars, soient bien évidemment à l'origine de cette embellie financière. Si l'effet direct de cette cagnotte exceptionnelle s'est répercuté sur la stabilisation de la balance de paiements, l'effet secondaire, quant à lui, se traduit par l'état euphorique de la politique algérienne envers le Maroc. De nombreux spécialistes estiment que cette manne financière ne profite pas à l'économie algérienne à forte dépense sécuritaire et militaire. Dans un de ses documents consacrés à l'Algérie, la Banque Mondiale a mis en relief les excès en matière de dépenses publiques. En tout cas, cette manne financière ne va pas au peuple dans son ensemble, ni aux ménages modestes; la preuve, les indicateurs socio-économiques du pays sont au rouge et le taux de chômage des jeunes bat le record en Afrique du Nord. Ces indicateurs expliquent clairement que le pays n'a pas profité de cette manne pétrolière, tant au niveau de la croissance qu'au niveau de la nouvelle structuration économique du pays. Il ne faut pas s'étonner que le peuple algérien considère le pétrole comme une malédiction avant d'être une richesse nationale. L'argent amassé du pétrole n'a pas donné naissance à de nouveaux secteurs productifs, ni à des secteurs de services à forte valeur ajoutée dans la nouvelle économie mondiale. Cet argent du pétrole est orienté dans les circuits classiques des importations et de consommation en général, et injecté en particulier dans l'appareil militaro-sécuritaire ou encore dans des projets d'investissement à faible valeur ajoutée qui ne génèrent pas d'emplois ni de richesses. Les réformes économiques entreprises ces dernières années par les autorités algériennes, notamment en terme de réduction de la dépendance de l'Algérie vis-à-vis de la rente pétrolière, ont échoué. Les efforts déployés dans des secteurs de substitution aux hydrocarbures et dans les exportations hors hydrocarbures n'ont débouché que sur de maigres résultats : environ un milliard de dollars en exportation enregistré en 2004 et plus de 90% des recettes de l'Etat algérien restent toujours alimentés par le pétrodollar. L'Algérie paraît encore aujourd'hui aux yeux des opérateurs économiques internationaux comme un simple pays de consommation et un pays très intéressant sur le plan énergétique. La seule société qui parvient à se faire financer auprès de banques étrangères, sans la garantie de l'Etat, est la même qui dégage les 46 milliards de dollars: il s'agit de la Sonatrach qui se confond décidément avec l'Etat algérien. Jusqu'à quand l'Etat algérien restera le principal bailleur de cette société ou vice versa? Et jusqu'à quand l'argent dégagé par cette société restera dépendant de l'Etat algérien? En tout cas, beaucoup d'analystes de l'évolution de l'économie mondiale estiment que c'est une option à ne pas écarter avec la tendance de la mondialisation de l'économie. Si cette option a lieu, cela voudrait-il dire que le groupe Sonatrach sera autonome dans la gestion de ses devises et qu'il n'aura pas à injecter indéfiniment son argent dans le seul financement de l'Etat algérien, comme il le fait aujourd'hui. Il est également intéressant de se demander si cette manne financière va perdurer à moyen terme. La revue statistique de British Petroleum (Groupe anglo-américain, compagnie pétrolière N° 3 à l'échelle planétaire) datée de juin 2004, réputée pour ses analyses scientifiques et ses données chiffrées sur l'économie énergétique mondiale, indique que la durée de vie des réserves pétrolières de l'Algérie ne dépassera pas 16 ans. Les données publiées projettent que l'Algérie deviendra un importateur potentiel de pétrole à moyen terme, plus précisément à partir de 2020. Ces prévisions catastrophiques invitent de façon urgente les décideurs algériens à réfléchir, dès aujourd'hui, sur l'après-pétrole. Cependant, cette réalité demeure un tabou en Algérie et on préfère savourer les retombées immédiates sur la trésorerie du pays que de se pencher sur les lendemains qui seront difficiles et qui font sûrement peur. Si ce que projette cette étude s'avère une réalité dans 15 ans, quel serait le sort de l'état socioéconomique de l'Algérie et de ses générations futures? Les Algériens sont-ils préparés à cette nouvelle réalité ? Tout le monde sait que le principal bénéficiaire de la bonne santé financière de l'Algérie est le cercle politico-militaire au pouvoir depuis toujours. Au lieu d'améliorer le quotidien de millions d'Algériens impatients de voir les fruits de la cagnotte et d'œuvrer pour le bien du Grand Maghreb, on constate, comme beaucoup d'observateurs, que les responsables algériens reviennent aux anciennes pratiques de surenchère politique vis-à-vis du Maroc. Est-ce que cette attitude politique agressive envers le Maroc est une nostalgie résiduelle de l'ancienne guerre froide ou un effet passager euphorisant dû à la manne pétrolière actuelle? En effet, avec autant de réserves, l'Algérie a les moyens financiers nécessaires pour mener en même temps «la politique de l'autruche» et «la politique de provocation et de rivalité» envers le Maroc. Les dirigeants algériens et tout particulièrement la diplomatie algérienne mènent une politique «étrange» (et pas étrangère) envers le Maroc qui dépend curieusement du comportement des cours internationaux du pétrole et non de l'héritage historique commun des deux pays frères ou de l'aspiration des deux peuples frères pour leur unité. Comment comprendre encore aujourd'hui l'acharnement des dirigeants algériens sur la question du Sahara, alors que les frontières géopolitiques de par le monde ont tendance avec la mondialisation et la globalisation à disparaître ou à s'élargir ou lieu de se rétrécir? Et comment expliquer encore aujourd'hui la recherche effrénée d'ambitions impériales de la part des dirigeants algériens, et le désir sans cesse de vouloir s'imposer comme le leadership dans le Maghreb, alors que cette mode est révolue depuis longtemps. Pour ne donner qu'un simple exemple, celui qui nous est proche, l'Europe où les grands Etats et les micro-Etats sont tous des leaderships et ceci à tour de rôle. • Mohamed Sihaddou Ingénieur en Télédétection Aérospatiale Toulouse/ France