Malgré les richesses dont elle regorge en pétrole et surtout en gaz naturel, l'Algérie accuse un déficit énorme notamment dans les secteurs sociaux. Ce qui se traduit régulièrement par la grogne sociale. A elle seule, l'Algérie réunit tous les paradoxes du monde arabe, dont les dirigeants sont actuellement en conclave à Alger, dans le cadre du Sommet arabe. Des paradoxes, l'Algérie en recèle des tonnes. Voilà un pays immensément riche en ressources pétrolières et gazières, fort de superficies cultivables illimitées et outillé d'une main-d'œuvre aussi qualifiée que jeune. Mais l'Algérie, c'est aussi un pays où la situation économique, malgré les efforts entamés en matière d'ouverture et de libéralisation, même si tout ou presque est subventionné, est au bord de l'explosion. Quelques chiffres peuvent témoigner et à plus d'un égard, de ce grand déphasage. Les réserves algériennes en devises sont évaluées à 44 milliards de dollars. Les exportations en hydrocarbures s'élèvent à 24 milliards de dollars. Plus de 40 millions d'hectares de terres sont cultivables dans ce deuxième plus vaste pays d'Afrique, dixième au monde par la superficie. L'Algérie est un des plus gros producteurs de liège ade la planète. Avec un littoral s'étendant sur 1200 km, elle a une richesse piscicole importante. L'industrie de la pêche (sardines, anchois, thon et crustacés) est développée. Ajouté à cela le fait que son réseau d'électricité couvre l'ensemble du territoire national. L'Algérie, c'est, aussi, un grand marché qui comptera 38 millions de consommateurs en 2010. Mais, tous ces chiffres, aussi réjouissants que prometteurs, sont-ils répercutés sur le niveau économique et social du pays? la population algérienne, estimée actuellement à 32 millions, tire-t-elle profit des sommes faramineuses que constitue la manne pétrolière ? Rien n'est moins sûr. La situation économique est minée par plus d'une entrave dans un pays où l'Etat garde le monopole des secteurs les plus productifs, du pétrole à l'immobilier et marquée par le poids de la corruption. «La corruption est un grand obstacle en Algérie. 75% des entreprises affirment payer des pots-de-vin», indique le rapport sur le développement dans le monde 2005 de la Banque mondiale. L'appauvrissement de la majorité de la population est un fait. Le PIB par habitant a été divisé par deux entre 1990 et 2002, passant de 3.524 dollars en 1990 à 1.600 dollars, pour s'établir actuellement, selon des chiffres officiels, à 2500 dollars. Plus de 190.000 ménages, soit environ 1,6 million de personnes (5,7 % de la population) vivraient en deçà du seuil de pauvreté, évalué à 200 dollars par an. Pays jeune, avec un grand nombre de diplômés, l'Algérie enregistre, sur une population active estimée à quelque 8 millions de personnes, plus de 2 millions de chômeurs. Ayant reculé de manière significative depuis 2000, où il était établi à 30% de la population, le taux de chômage n'en touche pas moins, et de l'avis même du président Bouteflika, « un nombre trop important, à mon gré, de nos compatriotes, femmes et hommes » (discours du 1er mai 2004). A fin 2004, ce taux était établi à 17,7%. Environ 260.000 Algériens intègrent chaque année le marché du travail pour quelque 100,000 emplois disponibles. Le seul processus de restructuration du secteur public et para-public a entraîné, à ce jour, la disparition de quelque 400.000 emplois. Si les Algériennes peuvent aller à l'université et travailler à l'extérieur, elles ne représentent toutefois que 7 % de la population active. La plupart travaillent comme enseignantes, infirmières, techniciennes ou médecins. Quelque 1.700.000 personnes de moins de 25 ans n'ont pas accès à l'enseignement. En matière d'accès à la santé, le secteur médical souffre de manque de fonds pour servir toute la population. Les habitants des régions rurales ont difficilement accès à des soins, et dans les villes, il faut souvent attendre avant de pouvoir se faire soigner. Avec 73 dollars US par an et par habitant (rapport de l'OMS sur la santé dans le monde - année 2004), les dépenses algériennes en la matière ne représentent que le 1/30 de la dépense de santé, par an et par habitant. L'Algérie consacre au total plus de 7 % de son PIB aux dépenses d'action sociale et de transferts sociaux. Bien que fort répandus, et couvrant 80% des Algériens, les dispositifs de sécurité sociale semblent toutefois montrer leurs limites. De nombreuses personnes en situation de grande précarité ne sont pas couvertes par ces dispositifs. Les inégalités tendent également à se creuser, l'écart de revenus entre les plus riches et les plus pauvres étant désormais de 1 à 10. La source des plus vifs mécontentements reste le déficit de logements sociaux. Le taux d'occupation des logements atteint 7,3 personnes par logement. La politique de logement, poursuivie jusqu'ici par les pouvoirs publics, explique l'entassement actuel. L'Etat algérien a programmé la construction d'un million de logements au cours des cinq prochaines années. Renvoyées au second plan lors des 10 ans de guerre civile, avec des dégâts limités cependant à moins de 20 milliards de dollars, les revendications sociales refont aujourd'hui surface. Et chaque jour, des Algériens s'insurgent, se demandant à quoi servent finalement les immenses réserves en devises qui battent tous les records. La société algérienne reste ponctuée par les émeutes, contre les logements introuvables, le chômage, les emplois précaires, les fortunes à l'origine douteuse ou encore le manque en gaz butane et la hausse des prix des carburants qui se font rares dans un pays producteur. La consommation est également au plus bas. Le plan de relance économique, annoncé en grande pompe par le président Abdelaziz Bouteflika, montre d'ores et déjà ses limites. Et aucun projet cohérent de développement économique alternatif n'est annoncé. En attendant, les Algériens ont des sous et n'ont peu, ou pas, de produits à acheter. Le pays produit, certes, céréales, fruits, légumes et tabac, mais une bonne partie de ses besoins alimentaires doit être couverte par l'importation. Les exportations algériennes hors hydrocarbures ne dépassent même pas les 700 millions de dollars. L'Algérie demeure fortement dépendante vis-à-vis de l'extérieur au plan alimentaire, notamment en matière de viandes et de produits laitiers ainsi que pour les biens d'équipement et de consommation. Un problème qu'accentue le protectionnisme adopté depuis des décennies par l'Algérie. Ce qui explique le véritable foisonnement que connaît le secteur informel. Valeur 2003, le secteur de l'informel représentait 15% de la production algérienne (office algérien des statistiques-ONS). Un taux revu à la hausse depuis. Des produits alimentaires (fromages, eaux minérales…) à l'électroménager en passant par l'habillement, l'informel constituent une offre parallèle à part entière. L'essentiel de ces produits est introduit illégalement. L'automobile est l'un des rares secteurs à avoir rompu avec ce système. Les nouvelles voitures, qui sont enregistrées chaque année au parc automobile algérien, ont largement dépassé le cap des 100.000. Une maigre consolation.