Entretien avec Adil Lamnini, président de l'Association professionnelle des marques marocaines (APMM) L'e-commerce s'est largement répandu lors de la période de confinement. Il se positionne aujourd'hui comme une alternative incontournable pour booster l'activité économique dans son ensemble, voire faire du made in Morocco un levier dans la relance économique de la période post-Covid-19. Adil Lamnini, président de l'APMM, nous fait part de son point de vue sur le sujet. ALM : Comment évolue le made in Morocco dans le contexte de crise actuelle ? Adil Lamnini : Pour être réaliste, le secteur du commerce a accusé lors des 7 derniers mois un recul supérieur à 70%. L'état d'urgence est encore maintenu, la propagation du virus s'accélère et le démarrage d'une campagne de vaccination n'est toujours pas annoncé officiellement. Cette conjoncture a démontré que les activités dont le chiffre d'affaires est le plus résilient sont celles qui ont adopté des business models hybrides combinant le digital comme vitrine (site e-commerce, Facebook, Instagram, WhatsApp) et le canal logistique de la livraison à domicile. Aujourd'hui, il existe plusieurs difficultés d'ordre psychosociologique, technique et logistique à surmonter pour hisser le secteur. De même, les plateformes électroniques actuelles sont extrêmement limitées de fait de l'absence d'une offre e-logistique efficace et abordable surtout. Le Maroc a connu une régression de la valeur des exportations à hauteur de 70% au niveau des aéroports et de 60% au niveau des ports, un arrêt brutal des foires et expositions au niveau national et international et plus de 85% des entreprises étaient en cessation d'activité en début de cette crise sanitaire. Sans parler des chiffres d'affaires des entreprises qui sont en net retrait. Dans le secteur du commerce, on constate une baisse du CA de plus de 70% pour 50% des entreprises, un recul du CA de 15% pour 12% des entreprises, une diminution du CA entre 50% et 70% pour 20% des entreprises, une situation stable pour 2% des entreprises, un fléchissement du CA entre 25% et 50% pour 15% des entreprises. L'augmentation du CA ne concerne que 1% des entreprises du secteur. Aujourd'hui, on parle de digitaliser son modèle d'entreprise pour survivre. Quel type d'accompagnement l'Etat peut-il offrir aux petites structures pour continuer à exister grâce au digital ? Nous sommes convaincus au sein de l'Association professionnelle des marques marocaines que l'avenir de nos TPE, PME et artisans passera par le digital. C'est un outil d'amélioration des process de production mais aussi de commercialisation. Nous pensons que dans la continuité de ce qui a été engagé comme efforts dans ce sens qu'il y a des grands chantiers sur lesquels l'Etat devrait focaliser son énergie, à savoir : accélérer la digitalisation des services, se positionner localement sur le Cloud (en subventionnant des solutions Cloud pour son déploiement au sein des TPME et notamment celles made in Morocco), ajuster les budgets de formation sur la transition digitale au niveau des TPME. Est-ce que la stratégie digitale mise en place par le Maroc tient ses promesses pour le e-commerce ? Est-elle suffisamment orientée vers les produits du Maroc ? Comme nous l'avons défendu depuis plusieurs années au sein de l'APMM, les incitations effectives et réalistes pour le décollage e-commerce au Maroc et dans le contexte actuel ne peuvent être qu'autour de 2 axes principaux, à savoir la libéralisation totale du secteur logistique (en l'occurrence pour les petits volumes) pour rendre l'offre made in Morocco plus compétitive sur le Net et l'aménagement de la fiscalité sur les ventes en ligne dont les propositions d'adaptation, notamment celles de la TVA «e-commerce». Nous sommes convaincus que le e-commerce est un excellent moyen pour booster nos ventes et la notoriété des nos produits et services made in Morocco. Il représente une alternative de choix pour une meilleure accessibilité aux marchés émergents. Des actions doivent se faire dans ce sens à l'instar de plusieurs pays africains qui ont saisi cette opportunité et sont aujourd'hui cités comme exemples. Au niveau du paiement électronique, quelles sont les barrières à franchir pour permettre aux marques marocaines d'être plus facilement commercialisées ailleurs ? Le digital peut être un excellent moyen pour contourner les freins à l'évolution du secteur du commerce mais nous tardons à avancer sur certains points, à titre d'exemple : l'interopérabilité qui tarde à se mettre en place (l'outil technique est là mais la tarification, les modalités pas encore). Je citerais également que les 200.000 points de vente (épiceries) ne sont pas prêts à adopter ce canal faute d'incentives et de transparence fiscale. L'Etat doit également encourager ce canal en faveur des marques made in Morocco pour une meilleure égalité des chances et pour un développement socio-économique juste dans notre pays. Quelles sont les solutions pour faire du digital un véritable atout promotionnel de la marque Maroc dans les années qui suivent la crise Covid-19 ? La crise du Covid nous a appris qu'il faut compter sur soi-même et que le principe de souveraineté n'était pas uniquement politique mais aussi et surtout économique. Nous devons aussi être conscients que nous ne sommes pas à des niveaux de compétitivité industrielle des pays du G20 auxquels on nous compare, mais que nous avons un énorme potentiel qu'il va falloir soutenir avec un cadre législatif plus actuel, notamment en imposant des taux d'intégration locale plus importants au niveau de nos accords de libre-échange (ALE) mais aussi en renforçant nos industries de valorisation. Le Maroc doit miser sur la créativité au niveau de ses produits et de ses services made in Morocco. Nous appelons les parties prenantes à ce que la marque pays puisse répondre à 2 impératifs sous deux accroches : «Rassurez-moi !» : et ceci nous imposera de mieux connaître nos marchés cibles, maîtriser les risques possibles, trouver des alternatives pour y faire face, connaître notre environnement, adapter son offre et sa stratégie. «Séduisez-moi !» : et là il nous faudra démontrer concrètement le potentiel de notre made in Morocco et mettre en évidence les opportunités de travailler au Maroc et avec le Maroc, faire profiter le pays dans un cadre win/win, être cohérent dans la construction de notre offre et de notre communication.