Qui a raison et qui a tort ? Les femmes qui rêvent d'un mari et d'un avenir radieux ou le charlatan qui a profité de leur naïveté pour les plumer? Toujours est-il que les victimes ont fini par porter plainte et que le charlatan est derrière les barreaux. Meknès. Elle est à trois années de la trentaine. Ce n'est pas facile pour une célibataire qui ne fait dans sa vie que parcourir la distance allant de chez elle au lieu de son emploi. Un emploi qui ne lui permet aucun rêve d'avenir, vu le salaire dérisoire qu'elle perçoit en fin de quinzaine. Bien qu'ayant foi en le destin, elle ne pouvait se résoudre à rester célibataire jusqu'à l'âge de trente ans. Les mauvaises langues sont sans pitié et elles n'épargnent personne. Et que vont-elles dire à son propos, elle, dont la main a été demandée à deux reprises ? Pire encore, elle a célébré les fiançailles lors de la seconde fois. Sauf que, elle ne sait pas pourquoi, à chaque fois son fiancé lui a tourné le dos sans même daigner lui donner d'explication. Du jour au lendemain, ses deux prétendants n'ont plus donné signe de vie comme s'ils s'étaient évaporés. C'est l'amère réalité qu'elle a éprouvée à deux reprises. Deux expériences épouvantables qui l'ont rendue malheureuse comme une pierre. Un mauvais augure qu'elle doit chasser à n'importe quel prix, qu'elle doit éloigner de son chemin par n'importe quel moyen et qu'elle doit combattre sans répit. Mais comment ? Par quel moyen? Peut-elle vraiment changer son propre sort ? L'une de ses amies le lui a affirmé. Elle lui a même donné des exemples concrets, lui rappelant les cas de Saïda, Fatima, Khadija, Malika… au point qu'elle est arrivée à la convaincre. De quoi l'a-t-elle convaincue ? Elle l'a convaincue de recourir à un f'kih qui détient une canne magique, qui peut transformer son malheur en bonheur en un clin d'œil, qui a la possibilité de l'emmener de l'enfer au Paradis sur un tapis volant. Où est-ce f'kih ? Combien reçoit-il pour lui défaire le nœud qui lui bloque l'horizon ? Son procédé est-il efficace ? Elle l'a mitraillée de questions au point que l'amie lui a conseillé de patienter jusqu'au jour où elle l'emmènerait chez le f'kih. Le jour «J» est arrivé. La jeune célibataire attendait impatiemment son amie qui est venue en retard. Après lui avoir présenté ses excuses, elle l'a conduite vers le quartier Borj Moulay Omar. C'est dans un local de ce quartier populaire que Hamza accueille ses clients. Quand elles sont entrées, son frère les a incitées à «demander la résignation» (Attaslime). De qui? Elle n'en sait rien et elle ne doit pas l'interroger pour qu'il ne se déchaîne pas contre elle et son amie. Elles sont entrées doucement, sans faire de bruit. «Le lieu est sacré, c'est l'espace des Mlouks», leur explique-t-il sans les regarder. Hamza est le surnom de ce jeune f'kih qui n'est pas issu de la ville ismaélienne. En effet, il est né un jour de 1970 dans l'Ourika, dans les environs de Marrakech. À son douzième printemps, il est allé dans une école coranique où il a appris par cœur le Livre Saint. Après quoi, il a rejoint une école de l'enseignement original (Al Assil) où il a passé quatre années. Il est retourné ensuite dans son douar où il a été imam dans une mosquée et où il a enseigné le Coran aux enfants du douar et ce, pour un «salaire» annuel de cinq mille dirhams que lui procure la commune rurale. Après son mariage, sa femme a accouché à deux reprises. Au fil du temps, les dépenses grossissent et les cinq mille dirhams ne suffisent même pas à acheter les habits de fêtes pour ses deux enfants. La solution ? Il a décidé d'aller, en compagnie de son frère, à Meknès tout en laissant sa famille à Ourika. Au départ, ils ont loué un petit local à Borj Moulay Omar pour confectionner des caftans et des tenues traditionnelles pour femmes, puisque le frère de Hamza est tailleur. Au fil des jours, les femmes ont commencé à apprendre que Hamza est un f'kih qui était un imam, qui connaît le Coran par cœur, qui exorcise des Jnouns, qui écrit des amulettes et qui sait préparer des fumigations pour chasser les mauvais augures et faciliter le mariage aux femmes célibataires et le travail aux chômeurs. Depuis, les clientes ont commencé à s'adresser à lui pour avoir sa baraka contre des sommes allant de 200 à 1.000 dirhams. Son frère se chargeait de l'accueil. Entre- temps, il s'est rendu à Tiflet pour pratiquer son charlatanisme. Là, il s'est marié à une divorcée, mère de trois enfants. Seulement, il n'a pas pu y rester longtemps, car le nombre des clientes n'était pas aussi important qu'à Meknès, où il a fini par retourner. D'une séance à l'autre, la jeune célibataire lui versait les billets de 200 dirhams. Et le résultat ? Néant. Pour cette raison, elle s'est adressée à la police pour déposer plainte. Et elle a découvert que quatre autres victimes prises dans les filets de ce charlatan ont également alerté la police. Cette dernière s'est dépêchée chez lui au quartier Sebata, dans la région de Zaytoune, à Meknès. Et elle l'a arrêté pour le traduire avec son frère devant la Chambre correctionnelle près le tribunal de première instance. Ses pratiques de sorcellerie pourront-elles le sauver de la prison ?