Pour le journaliste Naïm Kamal, la pleine liberté à laquelle aspire la presse marocaine ne peut être accomplie sans un exercice responsable de la profession. Pour lui, agresser les gens au nom de la liberté de la presse n'est pas la liberté. ALM : Le débat autour du dossier consacré par Al Jarida Al Oukhra à SAR Lalla Salma repose la question sur la liberté de la presse. A votre avis, où s'arrête cette liberté ? Naïm Kamal : Il est clair que la liberté de presse est non seulement un droit, pour ceux qui l'exercent, mais aussi un devoir pour les pouvoirs publics qui doivent garantir cette liberté. Mais aucune liberté n'est absolue. Il faut donc savoir à quel point l'exercice de la liberté de presse peut nuire à autrui et, par là, cerner ses limites. Parler des affaires publiques, de leur gestion, du gouvernement ainsi que des actions des personnalités publiques est un droit démocratique. Mais ce droit ne veut nullement dire que l'on peut s'introduire par effraction dans la vie privée, ou familiale, de personnes, aussi publiques soient-elles. Agresser les gens au nom de la liberté de la presse n'est pas la liberté. D'ailleurs, ce débat ne date pas d'aujourd'hui. Dans les années 90, période où on a assisté à bien d'avancées en matière de liberté de la presse au Maroc, la question sur la définition même de cette liberté a été soulevée pour cerner d'avance la frontière entre liberté de la presse et la vie privée des gens. Qu'est-ce qui explique à votre avis cette tendance qu'ont certains journaux de s'ingérer dans la vie privée de personnalités comme celle de SAR Lalla Salma ? Malheureusement, on assiste actuellement à une véritable course aux ventes qui passe par une surenchère autour de la personne de S.M le Roi et de la vie privée de la Famille royale. Le souci de vendre est légitime pour la presse. Mais cette problématique des ventes est à poser autrement à mon avis. Cela fait quelques années que le nombre des lecteurs de journaux au Maroc stagne autour de 300.000. A peine. Parallèlement, la multiplication du nombre de journaux a été spectaculaire. Sur ce registre, nous battons tous les records dans la région. Cette évolution à deux vitesses fait que la presse vit actuellement dans une sorte de bulle, de cercle vicieux. Ses hommes croient qu'ils font et défont le monde, alors qu'en fait, ils se disputent un cercle très restreint de lecteurs. Cette surenchère n'aura donc servi à rien. Pour la simple raison que la démarche n'est pas saine. Une révision s'impose. Qu'en est-il du droit à l'image? Cette question du droit à l'image relève du b.a-ba de l'exercice journalistique. Quand il ne s'agit pas d'une action publique, l'accord de l'intéressé est une condition sine qua non à la publication de sa photo. Le droit à l'image est sacré. Et si une personne, ses fonctions publiques mises à part, ne veut pas que sa photo soit publiée, le journaliste doit impérativement respecter sa volonté. Tout le monde à droit à ce que sa vie privée soit protégée. Il s'agit là d'une règle universelle, mais qui est à observer davantage dans une société comme la nôtre. Le Maroc n'est pas la principauté de Monaco. Le degré d'évolution et les us et coutumes de chaque société font que ce qui est possible ailleurs ne l'est pas ici. La présence d'une presse à sensation serait-ce le prix à payer pour la démocratisation du pays? La décision prise par S.M Mohammed VI de donner une vie publique à son épouse ne s'inscrivait pas dans une logique de communication, mais pour donner forme à tout le projet de société que nourrit Sa Majesté pour le Maroc et la place que la femme marocaine doit y occuper. D'autant plus que nous évoluions dans un pays où les forces qui résistent au changement, à l'ouverture et à la liberté sont bien présentes. Inutile de rappeler dans ce sens que les manifestants à Casablanca, hostiles au plan d'intégration de la femme au développement, étaient beaucoup plus nombreux que ceux de Rabat, favorables à ce plan. Au lieu de dévoyer les choix de modernité que notre pays s'est tracés, la presse marocaine ferait mieux de les accompagner et les renforcer. D'abord en faisant la distinction entre ce qui relève de l'utilité publique et de la simple recherche d'articles à sensation. Que préconisez-vous pour une pleine liberté de la presse au Maroc, mais une presse également respectueuse des libertés des autres ? La responsabilité. Enlever les peines privatives de liberté et renforcer le droit à l'information, oui. Mais encore faut-il que la profession soit capable de s'auto-réguler.