Entretien avec Abdelkrim Belguendouz, chercheur en migrations et professeur de sciences économiques à l'université Mohammed V de Rabat. ALM : Que pensez-vous de la non-signature de l'accord de réadmission entre le Maroc et l'Espagne? Abdelkrim Belguendouz : C'est une très bonne nouvelle. Le Maroc n'a pas cédé aux pressions espagnoles et européennes. D'un point de vue plus général, j'aurais aimé que le Maroc communique les détails de cet accord de réadmission. Les sociétés civile et politique marocaines doivent connaître son contenu afin de défendre la position de leur pays. On peut deviner aisément ce que l'Espagne a proposé au Maroc. Il s'agit, en vertu de cet accord, de rapatrier non seulement les Marocains mais également les immigrés clandestins interceptés en Espagne et ayant transité par le Maroc. Les responsables marocains ont toujours insisté sur le fait qu'il est difficile de trouver les preuves que tel ou tel immigré clandestin est effectivement passé par le Maroc. Quant aux Espagnols, ils ont instrumentalisé le Conseil de l'UE pour imposer des sanctions aux pays qui ne coopèrent pas avec l'Europe, comme ils le souhaitent eux, dans la lutte contre l'immigration. Ces pressions et ces chantages se poursuivent toujours, puisque dans les accords de coopération euro-méditerranéenne il y a une clause de réadmission non négociable. Quels risques encourt le Maroc s'il signe cet accord de réadmission? Jusqu'à une période récente, les deux parties se contentaient d'échange de points de vue. Malheureusement depuis avril dernier, le Maroc a accepté de passer à un stade plus formel. C'est à mon avis un grave recul de la position marocaine. Cela veut dire que le Maroc cède aux chantages de l'Espagne et de l'UE. Le Maroc a ses propres intérêts et sa souveraineté totale. S'il signe l'accord de réadmission, il jouera le vulgaire rôle de gendarme de l'UE. Certainement, l'Europe exercera les mêmes pressions sur les pays subsahariens pour qu'ils signent des accords de réadmission avec le Maroc. C'est une sorte de sous-traitance sécuritaire entre les pays européens et le Maroc. En quoi les intérêts du Maroc seront touchés? En signant, le Maroc s'engage dans une galère incroyable. L'affaire du Sahara, l'intégrité territoriale, l'amitié avec les pays africains… autant de dossiers importants pour le Maroc. Si Rabat signe un accord de réadmission avec l'Espagne c'est toute sa vocation de pays à prolongation africaine qui sera remise en question. D'ailleurs, l'accord va plus loin, car il prévoit le rapatriement des Marocains entrés légalement en Espagne et devenus illégaux depuis à cause de la modification des lois espagnoles. Cette expulsion se fait sans aucune possibilité de recours devant les tribunaux. En acceptant cela, le Maroc réconforte les pays européens dans leurs volonté de renforcer leurs législations à l'égard des immigrés. En outre, si le Maroc signe avec l'Espagne, il sera appelé à la faire avec d'autres pays européens, comme l'Italie par exemple. Si le Maroc ne signe pas d'accord, que doit-il faire dans l'immédiat? Le Maroc a prouvé sa bonne volonté en décidant de créer une direction et un observatoire chargés d'étudier les mouvements migratoires. C'est un pas très important; les pays européens devraient plutôt aider le Maroc et non pas lui imposer des solutions qui vont à l'encontre de ses intérêts. Mais tout le monde sait que le Maroc est une plaque tournante du trafic des êtres humains et des réseaux d'immigration clandestine En fait, le problème devrait être posé dans son ensemble. La responsabilité est collective. Elle est partagée entre le Maroc, l'Algérie, les pays subsahariens et l'Europe. Le Maroc a prouvé, dans la pratique à travers les mesures concrètes prises à ce sujet, qu'il a une volonté claire de contrôler davantage les flux d'immigration clandestine. Mais même si ce contrôle est efficace, le problème doit être résolu à la source. Les clandestins viennent de pays sous-développés où, en plus du marasme économique, des guerres fratricides menacent telle ou telle tribu. Certains devraient être traités comme de véritables réfugiés politiques. Pour ce qui est de l'Algérie, je ne pense pas personnellement qu'elle encourage le passage des clandestins. En somme, ce problème de l'immigration clandestine doit être traité de manière globale, en impliquant également les Européens. De quelle manière peut-on impliquer l'UE? Sur ce sujet, l'Union européenne invoque toujours son opinion publique. C'est un argument dangereux. Il faut sensibiliser les populations européennes et leur faire comprendre la réalité des choses plutôt que jouer le jeu de l'extrême droite pour des raisons purement électoralistes.