Abdelkrim Belguendouz, professeur-chercheur à la Faculté de Droit de Rabat, estime que le Maroc adopte une approche parfois raciste vis-à-vis de l'émigration clandestine. ALM: Qu'en est-il réellement du phénomène de l'immigration subsaharienne vers le Maroc? Abdelkrim Belguendouz: Souvent, ce phénomène est surdimensionné et parfois même dramatisé. Le ministère de l'Intérieur marocain avance le chiffre de 15.000 clandestins, essentiellement des citoyens des pays subsahariens, qui affluent chaque année sur le territoire national. Une minorité d'entre eux passe par l'aéroport de Casablanca. Ces clandestins entrent au Maroc avec un visa en bonne et due forme, mais ne repartent jamais. En revanche, la majorité d'entre eux passent par le désert algérien. Selon une dernière étude du Bureau International du Travail (BIT), 80.000 clandestins transitent chaque année par le Mali et le Niger. Seulement 20% d'entre eux prennent la route de l'Algérie puis du Maroc. Les autres passent en Libye. Les responsables espagnols parlent, quant à eux, de 8.000 à 10.000 clandestins par an, Marocains et Subsahariens confondus, qui passent par le détroit de Gibraltar. En d'autres termes, les chiffres officiels le prouvent, le phénomène n'est pas aussi dramatique qu'on le présente. Ceci dit, il n'est nullement question de minimiser la question de l'immigration des subsahariens. De quel surdimensionnement parlez-vous? Par surdimensionnement, j'entends les expressions utilisées par les médias marocains. Certains commencent à parler d'invasion, de déferlement et d'inondation des clandestins subsahariens. L'agence MAP est même allée jusqu'à faire des commentaires pas du tout équilibrés, en mettant en avant des stéréotypes et des clichés en matière d'hygiène. Ce genre de dérapage est inquiétant et risque de créer une atmosphère malsaine, voire des réactions racistes de la part des Marocains. Que pensez-vous de la loi sur l'immigration clandestine qui vient d'être adoptée par le Parlement? C'était une nécessité à plusieurs titres. La législation qui était en vigueur datait de la période coloniale. Elle était donc en déphasage complet avec la réalité. Cette loi a également permis de prévoir des sanctions sévères contre les mafias qui pratiquent le trafic des êtres humains. Toutefois, elle est critiquable sur beaucoup de points. Tout d'abord, elle a été présentée au Parlement au même temps que le projet de loi antiterroriste. Cette coïncidence n'est pas fortuite. L'immigré n'est pas un terroriste. Il faut prendre en compte les droits de l'homme en matière économique, sociale et culturelle. Sur ce point, la loi sur l'immigration clandestine n'est pas du tout équilibrée. Maintenant que la loi a été adoptée au Parlement. Pensez-vous que le phénomène va diminuer? L'aspect répressif n'a jamais rien solutionné. Pour mettre un terme à l'immigration clandestine, qu'elle soit subsaharienne ou pas, il faut s'attaquer aux raisons qui poussent ces gens à se hasarder en plein désert. Ces raisons sont essentiellement d'ordre économique, politique et social. Quand on relâche les clandestins à la frontière avec l'Algérie, il y a de fortes chances qu'ils reviennent au Maroc. D'ailleurs, ce n'est même pas une expulsion vers le pays d'origine. C'est ping-pong humain inacceptable. Cela ne signifie pas que le Maroc doit adopter la politique de la porte ouverte. Au contraire. Le Maroc a ses propres problèmes économiques et sociaux. Mais cela ne l'empêchera pas de traiter le phénomène de l'immigration avec d'humanisme. Que gagnerait le Maroc à signer un accord de réadmission avec l'UE? La question ne se pose pas en termes d'enveloppe financière. Il ne faut pas que le Maroc tombe dans le piège européen. En effet, l'UE tente de faire signer le plus vite possible au Maroc un accord de réadmission des clandestins marocains et de ceux qui sont devenus illégaux sur le territoire de l'UE. Cet accord risque de faire du Maroc, une immense salle d'attente. En outre, le Maroc sera appelé à son tour à signer d'autres accords de réadmission avec les pays subsahariens. Cela se résume comme de la sous-traitance. Même chose pour le contrôle frontalier du Maroc sur lequel l'UE veut avoir un droit de regard. C'est la souveraineté du pays qui est menacée. Certes, c'est le Maroc qui a demandé en 2001 de l'aide technique et matérielle pour faire fasse à la prolifération des pateras. Mais cela ne doit pas être interprété par les européens comme une perte de souveraineté.