Selon Abdelkarim Belguendouz, professeur à l'Université Mohammed V et spécialiste des phénomènes migratoires, le Maroc ne doit plus céder à la pression de l'Union européenne en matière du problème de l'immigration clandestine des Subsahariens. ALM : Actuellement, le Maroc est accusé de maltraitance envers les immigrants subsahariens notamment par Médecins Sans Frontières (MSF). Qu'en pensez-vous ? Abdelkarim Belguendouz : À mon humble avis, MSF a des actions sur le terrain et elle est plutôt réservée. Généralement les informations des équipes de MSF sont sûres. Et c'est pour cette raison que je leur donne plus de crédibilité. Le rapport en lui-même ne traite pas de l'ensemble de la question, mais il relativise. Les membres de l'équipe de MSF ont recueilli en fait les propos des personnes qui sont venues bénéficier des soins de cette organisation. C'est ainsi qu'ils ont établi ce rapport à partir des témoignages de ces immigrants ayant besoin de soins médicaux. Au début, en rédigeant ce document, les équipes de MSF ne cherchaient pas le scandale, leur but était d'abord d'informer et d'attirer l'attention des autorités et dans un second temps voir comment les choses peuvent être améliorées. Au cours de ces dernières semaines, on a enregistré de multiples assauts où l'on a assisté au décès de plusieurs subsahariens touchés par des balles. Les autorités marocaines ont reconnu finalement que ce sont elles qui ont tiré ces balles. Au-delà de tout cela, je pense que le Maroc est tombé dans un piège. Quel piège ? Sebta et Mellilia sont des villes marocaines ou espagnoles ? Les autorités marocaines sont en train de passer en second plan cette revendication nationale. Il faut reconnaître qu'il s'agit là des deux derniers vestiges coloniaux en Afrique. Reprendre les Subsahariens est le piège qu'a tendu l'Union européenne au Maroc. Cette entité harcèle le Maroc et veut lui faire jouer le rôle de gendarme ou d'auxiliaire. On parle désormais de rapatriement... Mais, ce n'est pas un rapatriement!? Reconduits sur les territoires nationaux, le Maroc, à son tour, ramène ces Subsahariens en Algérie. Cela n'est pas un rapatriement, c'est un ping-pong humain. C'est un problème qui doit être réglé par l'ensemble des pays de la région, notamment les pays limitrophes de l'Algérie. C'est pour cela que l'Europe est invité à revoir sa politique avec son environnement extérieur. À votre avis quelle est la solution adéquate pour régler ce problème ? Très souvent, on sait ce qu'il ne faut pas faire. Mais, c'est difficile de savoir ce qu'il faut faire. Je pense qu'il ne faut plus traiter la question de l'immigration clandestine uniquement sous l'angle sécuritaire. Le Maroc ne doit plus céder à la pression européenne et devra cesser de vouloir donner des gages à l'étranger. Ce n'est pas d'ailleurs le rôle du Maroc. À noter qu'il ne s'agit pas uniquement d'une question d'argent ( assez ou pas assez fourni par l'Europe ), mais d'une question de principe. Le Maroc est un pays africain qui a ses intérêts géostratégiques et développe sa propre politique envers l'Afrique. Le Roi Mohammed VI a exprimé récemment un vif élan de solidarité avec certains pays africains. Que pensez-vous du discours des autorités marocaines tenus à propos de ce sujet ? Je pense que le gouvernement ne communique pas concernant ce sujet-là. On n'a pas encore assisté à un débat réel autour de cette question. Avec ce débat, je pense que l'Union européenne cessera de harceler le Maroc. Quand je parle de discours officiel, j'inclus également les médias officiels. A noter que nous n'avons toujours pas de chiffres exacts concernant ces Subsahariens; on parle de dizaines de milliers, mais nous ne disposons pas encore de statistiques précises. Généralement, les informations relayant ces « invasions » et autres « campagnes de ratissage ou d'assainissement » sont accompagnées de commentaires triomphalistes. Des fois, on note carrément une certaine concurrence entre tel ou tel gouverneur de telle ou telle région fier d'avoir arrêté plus de clandestins !