Grande figure de la société civile, Mohamed M'Jid ne pouvait pas rester muet dès lors qu'il est question de défendre l'égalité de tous devant la justice. Question de principe d'abord. LCour Spéciale de Justice (CSJ), cette juridiction d'exception avait été au départ créée pour moraliser une vie publique gangrenée par les pratiques de corruption. En fait, cette juridiction d'exception a été détournée, dans la pratique, des fins qui lui avaient été assignées initialement pour devenir un épouvantail, voire un appareil expéditif régi par une loi spéciale, une procédure spéciale et des pratiques spéciales. Pour cette cour, tout prévenu qui lui est déféré est, par principe, coupable et doit être châtié, non point à l'instar des peines prononcées par les juridictions de droit commun, mais par des peines allant jusqu'au double ou au triple. Ceci est injuste de mon point de vue et de celui de tous ceux qui sont logiques envers eux-mêmes. Comme son nom l'indique, tout est spécial, la loi est spéciale, la procédure est spéciale, la saisine est spéciale, l'instruction est spéciale, le jugement est spécial, les voies de recours sont spéciales, les délais sont spéciaux… Est-il concevable en effet, alors que la Constitution proclame la séparation des pouvoirs (article 82 de la Constitution de 1996), que la saisine de cette Cour dépende totalement du ministre de la Justice qui dépend de l'Exécutif et qui décide souverainement de la poursuite et de l'incarcération ? Est-il concevable qu'il n'y ait aucun recours contre les décisions prises par le ministre de la Justice consistant dans la saisine du procureur général de la CSJ ? Est-il concevable que la CSJ ne peut être saisie par une juridiction qui s'est déclarée incompétente à son profit parce que seul le ministre de la Justice dispose de ce monopole ? Est-il concevable que le procureur général de la CSJ soit un simple organe d'enregistrement et d'exécution des décisions prises par le pouvoir politique représenté par le ministre de la Justice dans la mesure où il ne peut modifier la qualification pénale des faits donnés par ce dernier et dans la mesure où il ne peut remettre en liberté provisoire les personnes qui lui sont déférées par le ministre ? Est-il concevable, dans un Etat de droit, que le juge d'instruction saisi de l'instruction par le procureur général, rend une ordonnance de non-lieu et que le prévenu soit quand même déféré devant la juridiction de jugement? Est-il concevable que les décisions rendues par la CSJ soient non susceptibles d'appel alors que sous d'autres cieux, notamment en France, des réformes ont été entreprises pour que même les décisions des cours d'assises (équivalentes des chambres criminelles marocaines) fassent l'objet d'appel ? Est-il concevable que, devant une juridiction appelée à faire la lumière et à dire le droit et rendre la justice, les PV établis par la police judiciaire ou les expertises expédiées par des organismes étatiques s'imposent tant au niveau de la juridiction d'instruction qu'au niveau de la juridiction de jugement, sans tenir compte des débats et des preuves produites par les prévenus? Est-il concevable que devant cette juridiction d'exception, les systèmes des questions appliquées dispensnt les décisions rendues des motivations qui doivent en être les supports juridiques et d'explication ? Est-il concevable qu'une condamnation rendue par cette juridiction ne soit jamais assortie de sursis ? Est-il concevable que le délai imparti à l'accusé pour déposer devant la Cour suprême son mémoire ampliatif de défense, soit réduit de moitié à celui applicable aux juridictions de droit commun ? Est-il concevable, dans un Etat de droit, qu'exploitant les retombées médiatiques ou les lames de fond de l'opinion publique concernant certains dysfonctionnements de certains établissements publics ou des organes même de l'Etat, des pauvres citoyens, souvent innocents, soient, du simple fait de leur inculpation devant cette cour, brisés pour la vie, par des décisions souvent injustes ? Est-il concevable, dans un Etat de droit, qu'il y ait une justice à deux vitesses ? Le démocrate que je suis le déplore sans réserve. L'instauration et la consolidation de l'Etat de droit prônées par les plus hautes autorités du pays et appelées de tous leurs vœux par les justiciables passent par l'abolition de cette juridiction spéciale, broyeuse des hommes et des principes de droits de l'Homme tels que proclamés par la constitution et notamment dans son préambule. La justice doit être la même pour tous les Marocains et le nouveau concept d'autorité, la consolidation de l'Etat de droit, l'indépendance du pouvoir judiciaire, la garantie des droits des justiciables, l'assurance d'une justice sereine imposent une justice unique. «Tous les Marocains sont égaux devant la loi», article 5 de la Constitution. Quand on milite pour la promotion des investissements, notamment quand on entend attirer les investissements étrangers et inciter les investissements locaux, la première condition pour ce faire est d'assurer une justice sereine qui passe par l'abolition de tout ce qui est exceptionnel et spécial. C'est mon point de vue sur cette question. Un point, c'est tout. • Mohamed M'Jid