La direction générale de La Samir a commis une erreur d'appréciation de la situation d'urgence dont elle a été prévenue bien avant la catastrophe. Voici pourquoi. La direction générale de la Samir a beau se répandre en justifications dans une fringale de communication inhabituelle, les faits sont têtus. L'incendie maîtrisé de justesse qui a failli tourner, lundi 25 novembre, à l'apocalypse a mis à nu les mille et une défaillances d'une raffinerie très peu raffinée. Les informations qui remontent à la surface de cette gigantesque catastrophe contredisent la version officielle des responsables de cette unité industrielle. D'abord, la raffinerie elle-même. C'est une unité achetée d'occasion à l'Italien ÉNI (Ente Nation Idrocarbure) au moment de la création de la Samir au début des années 60. Plus grave encore, les installations, en plus de leur vétusté, manquent visiblement d'entretien et de maintenance sur fond d'une absence effarante des normes de sécurité. “ Il ne faut pas faire porter le chapeau de ces carences graves à la seule direction générale actuelle, objecte un spécialiste du secteur. L'État aurait dû moderniser l'outil de production bien avant la cession de La Samir au groupe Corral en 1997“. Or, le cahier de charges de la privatisation obligeait le repreneur à mettre en œuvre un programme de mise à niveau de ses structures à hauteur de 400 millions de Dollars. C'était l'un des clauses les plus importantes du contrat. Or, ce programme d'investissement ambitieux ne sera jamais réalisé. Mais pourquoi les pouvoirs publics, à travers le ministère de tutelle (ministère de l'Énergie et des mines) n'ont-ils pas sommé l'acheteur à tenir ses engagements? Comment se fait-il que le directeur de l'Énergie continue à siéger dans le conseil d'administration de la Samir même après sa privatisation avec des jetons de présence conséquents ? Situation anormale s'il en est qui fait du ministère concerné juge et partie à la fois en lui faisant quitter son rôle d'arbitre impartial qui veille à l'application de la loi. Il s'avère aujourd'hui, après ce qui s'est passé, que le dossier de la cession de la Samir ressemble en tous points à un marché de dupes. Le bon sens aurait voulu que le désengagement de l'État de ce secteur stratégique que sont les hydrocarbures–même si cette décision est très discutable au plan politique et économique- soit au moins accompagné immédiatement par l'ouverture des vannes de la libéralisation du marché pétrolier en favorisant les importations des produits raffinés. L'incendie de La Samir a révélé en effet au grand jour combien il était dangereux d'être à la merci d'un raffineur unique qui plus est défaillant et appartenant à un groupe privé étranger. C'est toute la politique énergétique du pays qui, ainsi mise en cause, a besoin d'être repensée. D'urgence. Pour être à l'abri des mauvaises surprises et sécuriser les approvisionnements en gaz et carburant, l'État marocain, en un mot, a intérêt à reprendre pied dans le secteur. C'est vital. On ne peut pas faire autrement après le spectacle offert par La Samir. Un spectacle qui a choqué plus d'un : certains bacs de stockage du brut sont troués ou inclinés. Résultat : le pétrole coulait des crevasses et se répandait dans des canalisations non assainies depuis plusieurs années. Quand les crues sont survenues avec la déferlante d'eau sur les installations, le brut coincé dans ces conduites relativement bouchées est remonté à la surface. Les étincelles de feu furent déclenchées à cause du contact de ce mélange détonant avec des circuits encore brûlants des structures de la raffinerie. D'où l'incendie. À quelle heure l'unité catalytique a –t-elle été mise à l'arrêt ? Abderrahmane Saâïdi, le directeur général de la Samir, avance un timing précis : 16 heures. L'intéressé s'y est -il pris en retard sachant qu'il reconnaît lui même avoir été informé vers 11 heures de ce lundi 25 novembre, de l'ouverture des vannes du barrage Oued El Maleh en raison des fortes pluies qui se sont abattues sur Mohammedia ? S'ensuivra une alerte rouge donnée à M. Saâïdi en personne vers 12h30 ce jour-là. Aux alentours de 14 heures 30, le même Saâïdi recevra une injonction formelle de la part du Wali du Grand Casablanca. Pourquoi avoir attendu 16 heures pour déclencher le système de refroidissement des unités de production ? Certains experts pensent même que la direction générale n'a réagi que vers 18 heures. En fait, ce retard informe sur le souci principal des responsables de la raffinerie : la rentabilité au détriment de la sécurité. D'ailleurs, la direction générale s'est trahie dans plusieurs paragraphes du rapport qu'elle a dressé au sujet du sinistre. Jugez-en : “ au moment où l'information est tombée (l'ouverture des vannes du barrage vers 11 heures), on ne pouvait imaginer que le débit d'arrivage des eaux allait être d'une telle ampleur“. “ Ce n'est que vers 13 heures que nous nous sommes rendu compte de l'importance du phénomène et que nous avons entamé l'arrêt des unités de fabrication de la zone 1 qui, de par l'expérience (notamment les inondations survenues en décembre 2001) est la seule à avoir été touchée partiellement par les inondations dans le passé“. Voilà, M. Saâïdi a justifié de manière inconsciente son erreur d'appréciation d'une situation d'urgence, de l'imminence d'une grande catastrophe. En pensant dans son for intérieur que le problème n'allait pas être si grave, M. Saâïdi espérait quoi ? que son usine à haut risque serait épargnée par le déchaînement des éléments ou que la décrue allait tout de suite commencer ? Déroutant. Dans ce moment d'hésitation (couper les gaz ou non) qui a duré tout de même environ 5 bonnes heures sinon plus ( de 11h à 16h), l'ex-ministre des Privatisations est redevenu, en vérité, ce qu'il est : un expert comptable visionnaire qui connaît mieux que quiconque le poids des chiffres. En effet, l'arrêt d'urgence des installations d'une raffinerie de pétrole est une opération extrêmement coûteuse…