Publié chez Albin Michel, «Les islamistes sont déjà là» des deux journalistes français Christophe Deloire et Christophe Dubois est présenté comme «une enquête sur une guerre secrète». L'ouvrage vaut la peine d'être lu ne serait-ce que pour les notes des «services» qui semblent avoir fortement «inspiré» les deux co-auteurs. Tariq Ramadan veut « changer le monde » Ivry, 14 novembre 2003 C'est entendu: Tariq Ramadan n'a pas de fonction religieuse officielle. Mais il a une influence autrement plus étendue en tant que prédicateur. Ce qui lui vaut nombre d'ennemis. Mais aussi beaucoup d'amis. Un ancien chef de poste de la DGSE à Genève se souvient des débuts du jeune homme prometteur : « Professeur de philosophie et de littérature française à l'école privée Ferdinand-de-Saussure, il a séduit les parents d'élèves par un discours ouvert sur un « islam tolérant. » En 1994, Ramadan publie son premier ouvrage, «Les musulmans dans la laïcité». La même année, il intervient à l'émission « La marche du siècle». En novembre 1995, le ministre de l'Interieur Jean-Louis Debré prend une mesure d'interdiction de séjour à son égard. Chargé des Relations avec l'Lslam au diocèse de Lyon. Le père Christian Delorme prend alors fait et cause pour Ramadan . À Paris, l'animateur du groupe d'amitié islamo-chrétienne, le père Michel Lelong, défond aussi le petit-fils d'Hassan al-Banna. Michel Lelong est un étrange ecclésiastique. Lorsqu'en avril 1996 Roger Garaudy publie « Les mythes fondateurs de la politique israélienne » chez l'éditeur négationniste « La Vieille Taupe », l'auteur se prévaut du soutien de Lelong. Le religieux finira par se rétracter. Cousin de Christine Albanel, qui fut longtemps la conseillère de Jacques Chirac sur les questions d'Islam, Michel Lelong aime à faire valoir son entregent. Après la réélection de Jacques Chirac en 2002, il s'adresse au conseiller du chef de l'Etat, Roch-Olivier Maistre, et au chef du bureau des cultes, Vianney Sevaistre, pour plaider la cause des Frères musulmans dans la phase de consultation qui va s'ouvrir à propos de la représentation de l'Islam. Mais la verdeur des propos de Lelong sur Israël lui vaut la circonspection dans les cercles du pouvoir. Le 18 novembre 2003, le curé est auditionné par la commission Stasi. Au milieu de son allocution, trois des membres de la commission claquent soudain la porte. L'interdiction de séjour de Ramadan en 1995 va curieusement lui ouvrir d'autres portes. Notamment du côté des catholiques. Le secrétaire de la délégation épiscopale pour les relations avec l'Islam, Gilles Couvreur, passe des coups de téléphone pour appeler à la signature d'une pétition. Il joint ainsi l'un des cadres de la Ligue de l'enseignement, Michel Morineau. Ce militant de l'éducation populaire est convaincu : « J'ai rencontré Tariq Ramadan peu après. Un intérêt commun est né entre nous. Nous nous sommes dit qu'il fallait en finir avec la gestion politique et policière de l'Islam. » La Ligue de l'enseignement était autrefois partisane d'une laïcité stricte, puisque son président fut même le président de la Commission parlementaire chargée d'établir la loi de séparation des Eglises et de l'Etat en 1905. Voilà qu'elle crée en 1996 la Commission « Laïcité et Islam ». Pourquoi pas ? Mais qui en est membre? Tariq Ramadan ! En 2000, les travaux de la commission suscitent des remous au sein de la Ligue. Finalement, elle passe sous la responsabilité de la Ligue des droits de l'Homme et du Monde diplomatique. Son rédacteur en chef, Alain Gresh, a comme Ramadan des origines en Egypte. Ensemble, les deux hommes publient «L'Islam en questions». Ils devisent sur les injustices sociales. Un nouveau Tariq Ramadan est en train de naître. Il s'allie avec la gauche radicale, qui considère que l'islam est la religion des pauvres. En novembre 2003, coup de théâtre. Une de ses déclarations attribuant à leurs origines juives les réactions pro-israéliennes d'intellectuels en vue (Bernard-Henri Lévy, Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner…) déclenche la polémique. Les altermondialistes lui ouvrent néanmoins leur porte et l'intellectuel participe au Forum social européen. Le 14 novembre, calme au milieu des attaques qui le visent, il débat au cinéma Pathé d'Ivry-sur-Seine sur le thème « Religion, luttes sociales, altermondialisme ». Avec aplomb, il lance : « Bienvenue au club de ceux qui veulent changer le monde ! » Le lendemain son intervention à la halle Venise-Gosnat d'Ivry fait salle comble. Des militants du syndicat FSU sont chargés du service d'ordre. Un syndicat d'enseignants qui ont justement fort à faire sur le terrain avec les affaires de voile qui se multiplient ! Cela ne leur plaît guère. Ils protestent dans un courrier adressé à leur secrétaire général, Gerard Aschirei : « Tariq Ramadan a eu des positions concernant le voile islamique dans les écoles, le communautarisme et les personnes de confession juive qui s'opposent aux valeurs que nous défendons et dont le FSU est porteur. » L'opération « respectabilité » du militant Ramadan se déroule donc à merveille. Pour atteindre ces hauteurs, il lui faut aussi une base logistique. Ses premiers disciples sont les responsables de l'Union des jeunes musulmans à Lyon, proche de l'UOIF. L'un des cadres de l'organisation assure : « Il trouvait les mots pour formaliser ce que nous pensions. Cétait un vrai mariage. » La librairie de l'UJM, Al Tawhid, dans les quartiers est de Lyon, édite ses ouvrages. À noter qu'Al Tawhid arbitre dans ses murs l'antenne locale du Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens, une association dont les Etat-Unis ont demandé le blocage des fonds au motif qu'elle financerait le Hamas. L'UJM aide aussi l'ami Tariq à Paris. Le secrétariat de l'intellectuel est hébergé à Saint-Denis par la société de viande halal A Votre Service (AVS). Le ministère de l'Interieur considérait il y a quelques années qu' « AVS est en partie composée d'islamistes virulents favorables aux thèses défendues par le FIS et le GIA en Algérie (1)». Un employé d'AVS, qui rejette ces accusations avec vigueur, certifie : « Il n'y a pas de lien commercial. Nous prêtons simplement des locaux.» Depuis 1994, Tariq Ramadan n'entretient pas de liens étroits avec l'UOIF elle-même. L'organisation reproche à l'intellectuel suisse son interventionnisme dans l'« Islam de France ». IL est vrai que le prédicateur lui fait de l'ombre, car il gagne du terrain dans les banlieues. Analyse d'Alain Gresh, rédacteur en chef du Monde diplomatique : « Tariq Ramadan est important dans l'Islam de France, car il s'adresse à une nouvelle génération , à qui il rend la fierté d'être musulman . Il atteint les jeunes éduqués, mais qui sont encore dans les quartiers et vont devenir des cadres communautaires. » Il se constitue des réseaux. Il exporte d'ailleurs sa méthode aux quatre coins de la planète, au Bénin, au Niger, en Indonésie, aux Etat-Unis . Cela dit, le ministère de l'Interieur doute de l'efficacité de sa campagne : « Tariq Ramadan se présente comme un vecteur du fondamentalisme musulman, mais il est loin de disposer de l'audience que lui attribue la presse. Ses réunions ne rassemblent que trois cents à quatre cents habitués dans quelques villes de France où il a ses habitudes (Toulouse, Lyon…). Il est inconnu d'une grande partie de la jeunesse musulmane. Au sein de la composante la plus islamisée, son discours ne fait pas l'unanimité. Certains contestent la validité de ses interprétations religieuses (2). » Est-ce un moyen de conjurer le sort ? Les RG considèrent en tout cas que l'intellectuel est en perte de vitesse, ce qui semble très optimiste : « Il pourrait se retrouver isolé, y compris au sein de son propre camp. Des jeunes, proches de l'UJM, ont refusé d'assister à une conférence qu'il tenait à Lyon. Ils estiment qu'il est devenu un pantin médiatique dont se servent les journalistes pour alimenter l'islamophobie des Français». Il ne peut prétendre défendre la cause des jeunes de banlieue et apparaît « trop beau, trop riche, pas de leur monde ». En revanche, l'audience de son frère, Hani Ramadan, un « vrai religieux proche des jeunes et courageux sur le port du voile », tend à se renforcer.» Dans les mosquées un peu radicales de la banlieue de Lyon, la rumeur court que Tariq est vendu à la République et travaille pour les RG. Les théoriciens du complot ont de beaux jours devant eux. En tout cas, le succès de deux frères est révélateur d'une immense attente dans la France des cités dégradées et de l'Etat de droit intermittent. Mais qui leur réplique sur le terrain? Qui contre leur offensive ? 1. « L'oganisation de l'Islam en France», DCRG, 1997. 2. «Tariq Ramadan », DCRG, 12 novembre 2003.