Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. Le jeune homme avait le privilège d'avoir de brillants enseignants tels les professeurs Mehiaoui et Benyekhlef qui, avec d'autres, contribuèrent à donner une bonne formation de bilingue au futur président algérien. «Nous avons beaucoup appris à leur contact, se souvient Larbi Debbagh qui fut le compagnon de lycée de Bouteflika à Oujda et qui sera plus tard attaché militaire dans différentes capitales européennes puis wali de Biskra, Jijel et Annaba. Abdelaziz était blagueur mais sérieux au travail. Comme il avait une bonne mémoire, il a fini par bien maîtriser l'arabe et le français dès cette époque-là et cela l'a beaucoup servi pour sa carrière de diplomate. » C'est ce savoir-là qui épatera, quarante ans plus tard, des généraux à l'érudition très relative. Ils les a subjugués par le seul pouvoir qu'ils n'avaient pas : le pouvoir des mots. « Il a, en effet, le niveau intellectuel de l'esbroufe, celui qui peut séduire dans l'instant, celui qui peut ébahir les généraux par exemple, explique Sid-Ahmed Ghozali. Evidemment, dans un pays où il y a des analphabètes, quelqu'un de son niveau qui a étudié l'arabe et le français, qui a le niveau de Bouteflika, apparaît comme quelqu'un de brillant… Mais il traîne le retard de son cursus scolaire. Il n'est même pas un autodidacte qui aurait consacré son temps à se former tout seul, à s'offrir un vrai bagage intellectuel. Lui n'a pas pris le temps de se former seul. Il a le niveau en arabe d'un bachelier amélioré à force de la pratique, mais cela reste le niveau d'un bachelier et c'est tout ! » Dehbi a conversé de longues années avec lui et retient du personnage une certaine culture artificielle : « Je ne lui connais aucun domaine où il peut parler avec autorité. Chacun peut parler longtemps sur une matière qu'il connaît. Lui il peut parler peu sur toutes les matières. L'objectif de sa culture ce n'est pas la satisfaction personnelle, c'est indubitablement la soif de briller, de séduire… » Le fait de s'être arrêté à l'année du bac et de n'avoir pas entamé d'études universitaires a développé chez Bouteflika un complexe qui n'a pas été sans effet dans sa façon de gouverner. Cela l'a poussé notamment à écarter les collaborateurs dont le niveau intellectuel élevé l'empêchait de les dominer. L'homme veille jalousement à sa renommée de faux lettré : il répète inlassablement des clichés. S'obstinant à épater journalistes et visiteurs, il s'étale en babillages d'autant plus infinis que l'homme ne maîtrisant pas les concepts, ignore la concision. Bouteflika, à croire ses proches, ne lit pas. Et quand il lit, il lit «utile», pour épater. «On m'a dit un jour qu'il traversait une phase de curiosité envers le mysticisme, qu'il lisait sur “atassaouf”, se rappelle un de ses compagnons. J'ai tout de suite compris de quoi il en retournait : il se préparait à faire la tournée des zaouïas et il voulait les étonner en leur parlant de leurs grandes figures, de leur histoire et de leurs traditions. Il calcule tout en fonction de son ego et du bénéfice du moment, même ses lectures. » Abdelkader Dehbi appuie cette théorie et raconte une anecdote fort significative à ce propos : « Bouteflika a la culture d'un bon lecteur du Reader Digest doublée d'une bonne mémoire.Mais il déteste être pris en défaut. Un jour qu'il m'a demandé de le raccompagner je lui ai dit, parlant de ma voiture, que “la Rossinante est en panne”. Il n'a pas caché ignorer ce qu'est une Rossinante et j'ai dû lui expliquer que c'était le vieux cheval de Don Quichotte. Il a accusé le coup et, quelques jours après, pour me rendre la monnaie de ma pièce, il me demande à brûle-pourpoint : “Tu sais qui est Bucéphale ?” Il a dû se renseigner entre-temps sur les chevaux célèbres et ça l'a déçu que je sache que Bucéphale était le cheval d'Alexandre le Grand. » Bachir Boumaza, qui connaît l'homme depuis quarante ans, appuie : « Bouteflika n'est pas un homme de culture. C'est un personnage qui fait du mimétisme intellectuel et qui ne capitalise pas ses connaissances. » Durant son long séjour à Genève, Bouteflika a encore une fois échoué dans son rêve de faire des études. L'universitaire et député suisse Jean Ziegler a tenté de le diriger pour une thèse, mais il a dû renoncer à sa généreuse entreprise. « Il n'avait rien à dire. » Le président Bouteflika s'achètera quand même une distinction de docteur honoris causa de l'université de Séoul en décembre 2003 ! Bouteflika n'est pas préparé socialement ni intellectuellement à prendre des décisions de chef d'Etat. En parfait autodidacte, il ne reconnaît pas le pouvoir de la science, du savoir.Un analphabète s'assume, sait ce qui le sépare de la connaissance, pas un self-made-man inaccompli comme Bouteflika. Lui prétend savoir mieux que le rédacteur en chef de l'APS, mieux que le ministre, que le médecin et, peut-être mieux que le pilote qui le fait voyager à travers le monde. Ses carences intellectuelles l'empêchent de relativiser les choses, d'avoir le regard critique et humble d'un homme conscient de la gravité des choses. Bouteflika confond entre l'autorité que confère le pouvoir et l'autorité morale que confère le savoir.Alors il méprise toutes les autorités autres que celle qui l'a porté au pouvoir. Et comme il ne maîtrise pas les concepts, il se répète à longueur de journée et se perd en longueurs verbales. C'est dans la frénésie à vouloir concilier coûte que coûte l'islamisme et l'ouverture de l'Algérie à la modernité que se révélera le mieux le prophète-président avec sa vanité messianique et son impréparation aux lourdes décisions. Le président-rassembleur a été lamentablement piégé par le pédantisme aveugle du « Messie ». Pariant sur le prestige infini de sa propre personne, Bouteflika a fait le projet hallucinant d'une Algérie où les islamistes, soudainement convertis à l'art du possible, toléreraient le retour des pieds-noirs, la main tendue aux juifs, l'émancipation de la femme, une école ouverte aux langues occidentales ; bref, un pays où l'intégrisme, doctrine de l'intolérance, serait à ce point apprivoisé qu'il finirait par n'être plus qu'un banal mode de vie s'accommodant des libertés individuelles. Bouteflika a réellement pensé réaliser ce pari fou. Son inaptitude à l'analyse l'autorisait à ce raccourci. Son ego lui faisait entrevoir la consécration mondiale qui couronnerait l'alliance réussie de la minijupe de Khalida Messaoudi et du kamis d'Abassi Madani : le prix Nobel de la Paix. Le président algérien y a toujours cru. Sa profonde conviction est non seulement qu'il est de la lignée des grands lauréats de Stockholm mais qu'il a surtout permis, dans le passé, à d'autres d'obtenir la distinction ! Et il ne s'embarrasse pas de modestie pour le dire : Dois-je vous rappeler que l'histoire contemporaine des relations internationales a constamment donné raison aux positions défendues par l'Algérie sur la base des principes de justice et de paix ? Ce fut le cas au Vietnam lorsque M. Kissinger et M. le Duc Tho ont tous deux obtenu le prix Nobel de la Paix. Ce fut le cas au Moyen-Orient après que j'ai permis en 1974 à M. Arafat, en ma qualité de président de l'Assemblée générale des Nations unies, de faire, au nom de l'OLP, son entrée dans le concert des nations ; le même M. Arafat qui a fini par obtenir le prix Nobel de la Paix. Ce fut le cas en Afrique du Sud après que mon action directrice a abouti à l'exclusion du régime raciste, l'Afrique du Sud, où, vingt ans après, Nelson Mandela devint chef d'Etat et prix Nobel de la Paix. »