Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme. On écoutait le « Messie », on se gaussera du Tartarin. Ses dérapages d'halluciné, Abdelaziz Bouteflika ne les doit pas à l'alcool. Contrairement à certaines rumeurs insistantes, le président ne boit pas. En revanche, certains médicaments corticoïdes qu'il consomme depuis des années ont des effets euphorisants et dopants avérés. « On le savait depuis quarante ans, mais c'était un secret que ses relations, et même ses adversaires, se sont jurés de garder, rappelle un proche de la famille. Il y a toujours eu un pacte de silence autour de cette question dont on estime qu'il est du droit de toute personne d'en exiger la confidentialité.Mais ce pacte a été rompu depuis quatre ans par son entourage qui divulgue tout, la marque des comprimés comme les conséquences que leur prise entraîne sur le président. » La chose est maintenant du domaine public : Bouteflika est souvent sous l'effet de ses propres médicaments qui agissent effectivement sur ses réflexes, le perturbent, le transportent dans une extase ou dans un état d'excitation pendant lequel il perd son self-control. Les médicaments n'expliquent, cela dit, qu'une partie du comportement narcissique de Bouteflika. De l'avis général, l'homme souffre de cet immense manque de confiance en soi que l'on retrouve chez les personnes en quête perpétuelle du père, syndrome qui serait doublé chez Bouteflika par le complexe de l'autodidacte, l'homme étouffant constamment, par la frime, la frustration de n'avoir pas accompli d'études. Le déficit de confiance est, en tout cas, parfaitement illustré par cette constante recherche d'un modèle politique derrière lequel s'abritait, cette relation très particulière à la mère qui a conduit Bouteflika jusqu'à dissimuler aux Algériens son mariage avec Mlle Triki, mais aussi cet excessif penchant de Bouteflika pour la voyance et le maraboutisme. « Bouteflika ne s'adresse pas à l'Algérie, il se parle à luimême, ou plutôt il se regarde parler, explique Chérif Belkacem. Oui, il faut l'analyser par la psychiatrie. Bouteflika n'a pas d'identité. Quand on est enfant, on a toujours le père pour modèle. Pour que la personnalité de l'enfant s'exprime, il faut tuer le père. Casser le modèle. Or, Bouteflika, jusqu'à maintenant, a toujours besoin de modèle. Il n'a toujours pas créé sa propre identité. Il est tantôt Boumediène, il est Arafat, il est De Gaulle, il est Hassan II. Il aurait copié même Sidna Moussa… Il a besoin de modèle, et quelqu'un qui a besoin de modèle n'a pas d'identité. Bouteflika devient alors de plus en plus l'emballage et pas le produit. J'avais l'habitude, pour plaisanter avec lui, de lui dire : “Tu es une raison sociale, une marque, tu es comme Marlboro ou Gauloises, mais tu n'as pas une identité.” Mais même en l'assimilant à Marlboro, j'étais loin du compte: à l'intérieur du paquet il y a des cigarettes. Bouteflika, ce n'est que le paquet sans le produit. Alors, dans la réalité, cela donne un homme artificiel, un homme - du moins quand il est en bon état moral - en état permanent de représentation. C'est Line Renaud qui est sur toutes les scènes, qui veut être au top 50, qui veut être Julia Roberts, qui veut être la meilleure danseuse… » De ses modèles qui le fascinent, Bouteflika parle, en effet, sans cesse. Il ne cache pas avoir été hypnotisé par De Gaulle : « On l'a toujours présenté comme un personnage hautain, lointain, alors que c'était un des meilleurs produits de la société française sur le plan de l'humanité, de la courtoisie, de la gentillesse. La première fois que nous nous sommes vus, c'était aussi la première fois qu'il rencontrait un représentant de l'Algérie indépendante. Il avait un tic : se frotter les mains. J'avais le trac. » Bouteflika aime aussi à raconter cette autre rencontre avec De Gaulle, en donnant une version qui semble celle, exagérée, d'un admirateur et qui, en tout cas, est contredite par des témoins : « Une autre fois, notre entretien a duré une heure quarante-cinq minutes. Sur son bureau, il y avait une horloge qui sonnait tous les quarts d'heure. A plusieurs reprises, son aide de camp est venu ouvrir la porte, mais De Gaulle lui faisait un signe. Et l'entretien continuait. C'est lui qui a décidé d'y mettre fin en disant : “Je crois que nous avons fait un tour extrêmement intéressant des problèmes qui nous concernent.” » L'entrevue ne semble pas s'être déroulée exactement de cette façon si on en croit la variante qu'en a donnée à des proches, Rédha Malek, alors ambassadeur d'Algérie en France : « L'entretien portait sur les nationalisations des biens laissés vacants par les Français. Le sujet ne passionnait visiblement pas le général. Les débats s'allongeaient. De Gaulle s'impatiente et, pour mettre fin à la rencontre, répond à Bouteflika : “Voyez donc ça avec Pompidou (Premier ministre de l'époque)”, ce qui était une façon courtoise de dire “j'ai reçu le message” et de mettre fin aux débats qui s'éternisaient. Mais Bouteflika voulait que De Gaulle lui dise “je te bénis” et revenait à la charge. Alors, excédé, De Gaulle lui répond : “Monsieur le ministre, vous ne voulez quand même pas que je vienne réparer les ascenseurs d'Alger ?” » Du Roi Hassan II, qu'il appelait «Sidna» devant les Marocains, il parlera avec le même lyrisme dans l'évocation. Pourquoi Boutefika est-il toujours en train de rechercher son père chez les autres ? Abdelaziz a pourtant eu le temps de connaître son vrai père, Ahmed Bouteflika qui ne décédera que le 1er décembre 1958, à l'âge de 67 ans, dans des circonstances inconnues. Mais les relations père-fils semblent avoir été souvent absentes et, en tout cas, constamment perturbantes pour l'enfant.