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Bouteflika : Une imposture algérienne (41)
Publié dans Aujourd'hui le Maroc le 15 - 12 - 2004

Directeur du quotidien algérien «Le Matin», Mohamed Benchicou a publié à la veille des présidentielles algériennes un livre pamphlet, «Bouteflika : une imposture algérienne», qui retrace la carrière politique et militaire du président Abdelaziz Bouteflika. Le livre, qui a fait l'effet d'une bombe, a valu à son auteur deux ans de prison ferme.
Chérif Belkacem voit dans ces abus, au-delà d'une disposition naturelle au despotisme, l'illustration que le système de cooptation est dépassé et dangereux puisqu'il permet à l'heureux élu d'imposer son caractère en doctrine de gouvernement : «Bouteflika ne pouvait pas se contenter du poste de président de la République. Il a voulu s'emparer de tous les postes, celui de ministre comme celui de député ou celui de maire. C'est pour cela qu'il n'y a plus aujourd'hui d'autorité nulle part, celle de l'Etat, celle du maire ou celle du ministre… Il faudra résoudre ce problème d'autorité après le départ de Bouteflika. Le problème qui est majeur pour moi, c'est que, depuis l'indépendance, nous ne sommes pas en face d'un pouvoir personnel ou d'une dictature, éclairée ou non, mais d'un pouvoir débridé : on nomme quelqu'un et le voilà qui érige son propre tempérament en mode de gouvernement.
S'il est mégalo, vous aurez un pouvoir mégalo ; s'il est alcoolique, le pouvoir entier titubera ; si c'est un pitre et un imposteur, comme c'est le cas, le mode de gouvernement sera celui d'un pitre et d'un imposteur. C'est cela le mal de l'Algérie. Le pouvoir de Bouteflika n'est donc pas un vrai pouvoir personnel. C'est un pouvoir exalté, fumigène… Il n'y a même plus ce contrat moral qui liait tout le monde
sous Boumediène, du président au sous-préfet et qui tenait lieu de régime. » Le 29 juin 1999, soit un mois après sa prestation de serment, il limoge, en plein Conseil des ministres, le ministre de la Communication et de la Culture, Abdelaziz Rahabi.
L'épisode a laissé un souvenir à l'intéressé : «A la fin de la réunion, il m'a dit devant tous mes homologues : “Vous comprendrez, M. Rahabi, que je veux m'occuper moi-même de la Communication.” En fait, il avouait déjà des projets de musellement de la presse et d'accaparement de la télévision pour ses propres idées totalitaires. A partir de cet instant, il s'imposera comme quelqu'un de boulimique en tout : il veut tous les postes. Il ira jusqu'à vouloir devenir ministre de la Défense alors que la Constitution en fait le chef des armées.» Bouteflika laissera un autre slogan célèbre qui fera sa gloire : «C'est moi le rédacteur en chef de l'Agence de presse.» Personne ne trouvait à redire : le prophète-président était dans son rôle et bien des journalistes devaient s'enorgueillir de travailler sous la direction d'un si prestigieux rédacteur en chef ! Pendant cinq ans l'APS tiendra le rôle d'agence supplétive du pouvoir. Pour avoir osé dénoncer cette mainmise sur une agence qui se devait pourtant au service public, une journaliste de l'agence, Fatma-Zohra Khelfi, sera sanctionnée et mise au ban de l'entreprise. « Je veux m'occuper moi-même de la Communication. »
Zouaoui Benamadi n'a pas pris suffisamment à la lettre la formule péremptoire du prophète-président: recruté l'été 1999 à la Présidence en qualité de conseiller à l'information, l'ancien directeur d'Algérie-Actualités se verra limogé au bout de quelques jours pour s'être autorisé des libertés dans la communication du président. Il sera repêché quelques mois plus tard pour occuper la direction de la radio où, en professionnel, il introduira des changements mais où, en chat échaudé, il se gardera de mécontenter de nouveau l'autocrate-président. Rédacteur en chef de l'APS, mais aussi seul et unique dirigeant de la télévision algérienne. En cinq années de règne du président, les caméras n'ont tourné que pour le président. La télévision algérienne est devenue dans la bouche populaire «Canal Bouteflika». Pas une seule apparition de l'opposition, pas de débats contradictoires ou d'information qui ne soit contrôlé au préalable par les services de la présidence : la télévision algérienne est revenue à l'âge du parti unique, propriété exclusive du prophète-président.
«Est-ce que vous ne pensez pas urgent qu'il y ait un débat dans l'audiovisuel algérien pour que se renoue ce débat démocratique algérien ?» demande candidement une journaliste de France Culture. A cette question, le président voit rouge : « Ecoutez, le problème de la stratégie en Algérie c'est mon problème, ce n'est pas le vôtre. Je sais exactement ce que je dois faire et quand je dois le faire. Vous êtes en train de me dicter une démarche. Ce n'est pas à vous, journalistes français, de me dire ce qu'il faut faire et ce qu'il ne faut pas faire. Je ferai les choses à l'algérienne et en fonction des intérêts supérieurs de l'Algérie.» Il ne craint pas de se contredire. A la veille du référendum sur la concorde civile, le président déclare sans rougir à la presse internationale : «Mes adversaires auront tous les droits, y compris à la télévision. Je ne crains rien. L'ère du mensonge et de l'hypocrisie est terminée. On ne peut faire le bonheur d'un peuple malgré lui.» Ses adversaires n'auront, finalement, droit à aucune minute sur le petit écran. Bouteflika aura fait voter la loi sur la concorde civile sans débat contradictoire, réussissant ainsi à «faire le bonheur d'un peuple malgré lui». En six mois, Bouteflika a eu le temps de redevenir luimême. Oublié l'homme qui plastronnait devant la journaliste française Elisabeth Shemla, se laissant aller à des promesses d'ivrogne: «Il est manifeste qu'une seule chaîne de télévision ne peut répondre aux aspirations et aux besoins d'information, de formation, de revalorisation du patrimoine et aussi de divertissement d'un peuple assoiffé de qualités intellectuelle, esthétique et aussi morale. Si les difficultés financières que connaît l'Algérie ne nous permettent pas de créer dans l'immédiat une seconde chaîne publique, il n'en demeure pas moins que le secteur de l'audiovisuel est appelé à voir l'émergence d'un secteur privé. Des stations de radio, des chaînes de télévision privées verront, par conséquent, le jour en temps opportun, soit par le biais de l'investissement privé national, soit par le biais du partenariat.»
Le président parlait en flagorneur. Il changera d'avis très vite : «Il n'y aura qu'une seule chaîne de télévision. Et il n'y aura pas d'autres chaînes de radio. Je veux contrôler
ma machine.» Jamais l'audiovisuel ne s'ouvrira aux Algériens. Bouteflika revendique d'être seul détenteur des droits d'expression à la radio et à la télévision.
Khalida Messaoudi, ministre de la Communication, retient la leçon. «Le contrôle de l'ENTV n'est pas des prérogatives juridiques du ministère», avoue-t-elle à l'Assemblée nationale. Tout est alors dit. Bouteflika regarde fixement son Premier ministre et lui dit d'une voix assurée : «Je suis contre l'indépendance de la justice. La justice doit être au service du pouvoir. La commission de réforme a fait son rapport, c'est bien, mais ce rapport va rester dans mon tiroir.»
Le Premier ministre en question, Ali Benflis, en reste pantois.
Mais est-ce bien étonnant ? Un prophète-président soucieux de «contrôler sa machine» pouvait-il réformer, c'est-à-dire concéder la liberté aux juges de diriger la justice en toute indépendance, aux journalistes celle d'animer la télévision dans le respect du service public, aux institutions de l'Etat de fonctionner et de se développer selon les autonomies qui garantissent l'Etat pérenne ?
Le prophète Bouteflika est incapable d'accorder des autonomies: ce serait contraire aux principes même de sa survie en tant que prophète. Aucune des grandes réformes promises n'a vu le jour parce qu'il en a lui-même bloqué l'application sur le terrain, y voyant immédiatement le risque de transfert de prérogatives divines dont il a la jouissance à des catégories roturières qui n'en feraient qu'un piètre usage.


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