Hafid Lotfi est producteur agricole, professionnel de la filière des fruits et légumes. Pour lui, la hausse des prix que connaît actuellement le Maroc est due principalement aux lois du marché, marquées par la baisse de la production. Un marché caractérisé également par la mainmise de lobbies, d'intermédiaires et de spéculateurs. ALM : Cela fait plusieurs semaines que le marché marocain aussi bien des légumes que des céréales et des viandes connaît des hausses croissantes. Sachant que le mois de Ramadan approche, quelles sont, à votre avis, les raisons de ces augmentations ? Hafid Lotfi : C'est une question d'offre et de demande. La principale cause est la chute de la production qu'accuse le marché marocain. La canicule que nous avons subie cet été s'est traduite par des pertes, partielle ou totale selon les régions et les exploitations, de la filière agricole. Face à la faiblesse de l'offre, il est normal que les prix flambent. D'autant plus qu'il faut s'attendre à d'autres hausses. Ceci est lié, d'une part, à l'approche du mois de Ramadan avec la psychose de pénuries qui l'accompagne et qui pointe d'ores et déjà à l'horizon. D'autre part, les exportations qui viennent de démarrer pour cette saison risquent d'entraîner davantage de renchérissements. A moins que la production n'augmente en parallèle, ce qui serait étonnant vu qu'il existe un cycle naturel de production et qu'actuellement, nous sommes dans une phase descendante. Sachant que l'agriculteur n'en tire que trop peu de profits, à qui profitent ces hausses ? Cela va de soi que les commerçants et les spéculateurs sont les seuls à tirer parti de ces augmentations. Les producteurs, eux,sont livrés à eux-mêmes. Et pour cause, le circuit de distribution pénalise à la fois les agriculteurs, obligés de vendre au prix le plus bas, et les consommateurs qui n'ont d'autre choix que d'acheter à des prix aussi élevés que « consensuels ». Le processus de commercialisation implique qu'une marchandise vendue par l'agriculteur à 1 dirham et revendue à 1,5 DH par l'intermédiaire qui la revend à son tour à 2 DH au détaillant. Ce circuit nous est imposés. Que faut-il faire pour assainir ce circuit. D'autres voies de distributions seraient-elles envisageables ? L'idéal serait de trouver un moyen de mettre directement en relation le producteur et les grandes surfaces, ne serait-ce qu'en partie. C'est le moyen le plus efficace pour garantir des marges supplémentaires pour l'agriculteur et un bon rapport qualité-prix dont ces grandes surfaces tireraient profit, tout en diminuant l'impact négatif des spéculations. Mais les choses étant ce qu'elles sont, cette option est difficilement envisageable actuellement. Les intermédiaires-spéculateurs qui, en complicité les uns avec les autres, continuent, en fixant les prix à leur guise, d'exercer un lobbying quasiment incontournable. Et, en toute impunité puisque l'Etat n'intervient pas pour réguler le marché. Quelles sont dans ce cas vos revendications vis-à-vis des pouvoirs publics ? Nos revendications relèvent d'un autre débat. Elles vont de la politique d'irrigation aux semences et aux terrains agricoles, en passant par l'organisation de la distribution. Comment concevoir un développement de l'agriculture au Maroc alors que, dans les faits, tout investissement se retrouve confronté à des blocages incroyables, dans un pays qui aspire à sa sécurité alimentaire. A commencer par les taux d'intérêts appliqués aux agriculteurs, et qui sont de l'ordre de 11% alors qu'en Espagne, ces taux ne dépassent pas les 4%. Le Maroc peut multiplier sa production agricole en l'espace de 5 ans. Encore faudrait-il encourager les initiatives qui vont dans ce sens. D'autant plus que la concurrence est rude avec nos voisins du Nord. Je citerai pour exemple le fonds de garantie européen Unigrain qui délocalise actuellement ses activités au Maroc, avec tous les avantages que cela implique pour les agriculteurs Marocains. L'Etat doit s'adapter et doit suivre.