La décision la Cour spéciale de justice a été prise de fermer. Mais, le problème n'était pas tant la fermeture et la fin de la Cour spéciale de justice qu'une réforme de cette dernière ainsi que des institutions judiciaires et du droit d'une façon générale. Ces dernières années, le volume de travail de la Cour spéciale de justice s'était accru considérablement, pour les raisons que chacun sait. Néanmoins, la Cour spéciale de justice vient de recevoir son arrêt de mort, avec la promulgation de la loi qui en porte suppression au Bulletin officiel. Tant de gens, ici et là, y compris parmi les défenseurs des droits de l'Homme, avaient critiqué et décrié la Cour spéciale de justice. Souvent sans la connaître suffisamment et surtout sans préconiser, ni préciser ce qui devait se faire en ses lieux et place et comment remplacer la Cour spéciale de justice. On ne peut que déplorer qu'il n'y ait pas eu un réel débat de société, et surtout d'experts, au sujet des contraintes et réformes requises pour une meilleure justice au sujet des crimes financiers mettant en cause, notamment, les deniers publics. Dans son discours, à Agadir, à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire, le 29 janvier 03, le Souverain marocain devait préciser : " L'action de réforme de la justice est un programme ambitieux, laborieux et de longue haleine, dont nous tenons résolument à accélérer la cadence, pour assurer la modernisation, la moralisation et la mise à niveau de l'appareil judiciaire ". Par ailleurs, les grands axes de la réforme judiciaire, annoncée par le ministère de la Justice, sont : - la redéfinition des règles et procédures structurantes de l'administration centrale et des juridictions; - l'arrêt des immixtions; - l'intensification et le renforcement du travail d'inspection et de contrôle du bon fonctionnement des tribunaux; - la médiatisation du programme de réforme. etc. Les critiques adressées au fonctionnement de la Cour spéciale de justice tiennent à ce que "contrairement au vol, au meurtre et à tous les autres délits, le ministère public (...) n'est pas habilité à entamer des poursuites lorsqu'il reçoit des informations (...) qui indiquent qu'un délit de corruption a été perpétré. Il doit nécessairement attendre une décision politique émanant du gouvernement". On reprochait à la Cour spéciale de justice d'être le prolongement du ministère de la Justice, de ne pouvoir être saisie que par l'Etat lui-même, d'être assujettie au ministère de la Justice, de représenter une justice à double vitesse beaucoup plus sévère dès lors que des fonctionnaires et /ou des deniers publics sont en cause; Mais, maintenant que la Cour spéciale de justice n'est plus, tous les reproches sont-ils pour autant levés? Il est permis d'en douter. Les critiques que l'on pouvait faire à l'encontre de la Cour spéciale de justice sont certes nombreuses. Mais, ne recoupent-elles pas celles que l'on peut faire aux autres tribunaux du pays? La question n'est-elle pas celle de l'indépendance de la justice, des juges et des magistrats ? Principe sacro-saint réaffirmé par les textes mais que l'on continue à rechercher dans la réalité, lorsqu'on sait ce qu'il en est de la pratique judiciaire au Maroc ! Certes, il est toujours des magistrats pour croire et s'accrocher au principe de l'indépendance de la justice et d'agir selon leurs propres et intimes convictions et les textes. Mais, il faut voir ce qu'il en est de leurs sorts, de l'évolution de leurs carrières. Au fil du temps, les magistrats de la Cour spéciale de justice ont fini par acquérir et développer une compétence certaine dans l'instruction, le traitement et le jugement des crimes financiers. Le monde de la finance et de la gestion des deniers publics ou privés est de ces arcanes fermées aux novices et aux profanes et l'appréhension, l'évaluation et la maîtrise des crimes financiers le sont encore plus. Concussion, corruption, trafic d'influence, détournement de deniers publics, etc... sont autant de crimes qui requièrent une expertise qui ne s'acquiert pas aisément. Pour des raisons politico-politiciennes, la décision a été prise de fermer la Cour spéciale de justice. Mais, le problème n'était pas tant la fermeture et la fin de la Cour spéciale de justice qu'une réforme de cette dernière et des institutions judiciaires et du droit d'une façon générale. Les dossiers de crimes financiers qui mettaient en cause des fonctionnaires et/ou les deniers publics sont dorénavant de la compétence de cinq cours d'appel ; celles de Rabat, Casablanca, Fès, Meknès et Marrakech. Une compétence selon le lieu de l'infraction. Au moment où le développement de la société fait que l'on s'oriente vers des spécialisations, voilà que l'on retourne, dans ce cas d'espèce, au général. Des magistrats généralistes, pour ainsi dire, seront chargés d'instruire, de traiter et juger des dossiers techniques, épineux et spéciaux. Sont-ce là tous les ingrédients requis pour une bonne justice ? Le justiciable ne tardera pas à se rendre compte des difficultés qui seront engendrées suite à ces décisions. Pourtant, aux antipodes de ce qui vient d'être décidé, le pays semblait aller vers une spécialisation des magistrats. C'est le cas avec la création des tribunaux administratifs, des tribunaux de commerce et des tribunaux de la famille. De surcroît, le Souverain, lors de son discours précité, avait tenu à préciser ce qui suit: " Notre but demeure la création d'une justice spécialisée, qui, outre l'efficience dans le règlement des litiges, garantisse le droit à un procès équitable et l'égalité des citoyens devant la loi, en toutes circonstances et dans tous les cas. Aussi, ordonnons-nous à Notre gouvernement de se pencher sur la situation de la Cour spéciale de justice et de Nous soumettre les propositions auxquelles il aura abouti, en gardant à l'esprit l'impératif de la mise en place d'une juridiction spécialisée dans les crimes financiers, soucieuse de moraliser la vie publique, de protéger les deniers publics contre toutes sortes de prévarication, et d'ancrer dans les mœurs la culture et l'éthique de la responsabilité". Le moins que l'on puisse dire, c'est que la vision et les instructions du Souverain n'auront pas été suivies à la lettre. Puisque les décisions prises se situent aux antipodes de ses instructions. La fin de la Cour spéciale de justice est ainsi le type même d'une réforme judiciaire escamotée. • Mimoun Charqi