L'ex-directeur de la banque populaire et certains fonctionnaires et clients ont été rattrapés par le temps et la justice. Démis de ses fonctions en 1998, Laraki savait que beaucoup de présomptions de culpabilité pesaient sur lui. Il a essayé de redresser la barre, mais la cour spéciale de justice avait pris les commandes de l'affaire. Quand il a été limogé en 1998 de son poste de président-directeur général de la banque populaire, Abdelatif Laraki, était déjà présumé coupable de mauvaise gestion. Les pouvoirs publics n'en ont pas pipé mot, comme il était d'usage dans le système de limogeage en douceur qui prévalait à l'époque. Les hauts commis de l'Etat, les ex-ministres et autres notables se prévalaient d'une immunité de facto que leur confèrent leurs rangs et leurs relations. Mais comme dans notre pays les secrets ne se gardent que rarement, la rumeur a circulé à l'époque où Laraki a été épinglé sur plusieurs dossiers. Et comme la rumeur est souvent confirmée chez nous, l'élite a fini par savoir qu'un rapport accablant de l'inspection des finances a mis l'ex-P-DG de la BCP dans le collimateur. Le cercle fermé qui a été mis au courant de ces agissements a traîné la rumeur jusqu'aux couches populaires pour que l'information devienne une vérité absolue. Le rapport de l'inspection était accusateur dans l'absolu et les pouvoirs publics ont traité avec l'ignorance absolue des délits imputés à l'ex-dirigeant de la banque populaire. L'impunité n'était pas une notion loin de la réalité, d'autant plus que la justice n'était jamais mise au courant des investigations des financiers. La politique primait sur un système judiciaire passif par les contraintes qui lui sont imposées. Le parquet n'a pas ainsi ce rôle d'instigateur d'enquête judiciaire sur une simple information comme cela se passe dans les Etats de droit. C'est ce qui donne à l'indépendance de la justice toute sa valeur, encore faut-il que le ministère de finances qui a élaboré le rapport en question, ait eu la possibilité de présenter ce dossier à la justice. Il a donc fallu attendre plus de quatre ans pour que l'enquête retrouve son cours normal et aboutisse à l'arrestation des mis en cause. Il faut toutefois préciser que l'enquête a été délocalisée en France dans la filiale BCP. Ce qui fait dire à certains que si les autorités judiciaires françaises n'avaient pas, en l'an 2000, mis la puce à l'oreille des autorités marocaines, l'affaire serait toujours classée. L'ex-président de la BCP, ainsi que d'autres cadres et clients, sont ainsi accusés de dilapidation de deniers publics avec l'indemnisation fictive du personnel de Paris, l'octroi de prêts douteux à des clients dont l'insolvabilité était préméditée. Des malversations supposées ou réelles, qui étaient connues depuis longtemps par les inspecteurs des finances, ont décelé d'autres irrégularités et abus dans la gestion de la BCP et de ses agences. Ce qui laisse supposer que beaucoup d'autres cadres proches ou lointains de Laraki sont impliqués. Il existe ceux parmi le personnel qui traînent des soldes débiteurs importants depuis des lustres sans qu'ils daignent éponger leur débits. D'autres, qui ont contracté des prêts depuis des années, n'ont pas remboursé un iota de leurs dettes sans être inquiétés , ni même sommé de s'acquitter de leurs dûs. Mais pour le moment, la brigade nationale de la police judiciaire, qui a affiché une efficacité sans failles dans le traitement des affaires financières, n'a instruit que le dossier de Laraki et du client Aït Menna. Par contre la difficulté va se présenter quand commencera l'instruction au niveau de la cour spéciale de justice. Car outre le caractère d'exception de cette juridiction qui est contesté par l'ensemble des juristes, l'instruction financière avec ses techniques compliquées posera problème. La CSJ instruit des dossiers aussi consistants que ceux du CIH, CNCA et la BCP avec un nombre de magistrats réduit dont la plus part ne sont pas des spécialistes de la finance. Or comme nous le dit très pertinemment le professeur universitaire Benyounes Marzouki, il est curieux que la cour des comptes qui est une institution constitutionnelle, ne soit pas impliquée dans ces dossiers : «la cour des comptes a pour mission de contrôler le budget et les finances de l'Etat et il dispose, pour ce faire, d'une grande expertise et de magistrats rompus à cet exercice depuis des années. Et comme certains dossiers de détournement ont été contrôlés par l'inspection générale des finances, voire instruits par une commission parlementaire, il était plus judicieux qu'ils soient soumis à la cour des comptes pour qu'elle balise le terrain à la justice. » Encore faut-il préciser que l'Etat, faute de la suppression pure et simple de la juridiction d'exception, puisse délimiter le champ d'action de la CSJ. Cette dernière est censée juger les fonctionnaires de l'Etat coupables de détournement de deniers publics. Or, comme le précise le professeur Merzouki, la confusion est totale quand il s'agit de séparer la fonction de l'action publique devant la loi administrative et la loi pénale. Il est toujours difficile de désigner comme agent public un agent de la RAM, du CIH ou de l'OCP ou du CNCA. Pourtant, ces sociétés ne sont ni des administrations, ni des sociétés publiques ou semi publiques, ni encore des sociétés privées puisque l'Etat y participe en tant qu'actionnaire et cautionne leur autonomie de gestion. Autrement, l'inspection générale des finances par le biais de la cour des comptes, pourrait bien les contrôler et présenter ses responsables incriminés devant la justice ordinaire. Les accusés jouiront au moins de tous leurs droits, y compris celui de bénéficier d'une contre-expertise comme il est le cas dans les tribunaux de première instance ou la cour d'appel.