L'annonce de la suspension du rite de l'Aïd Al-Adha a suscité quelques inquiétudes. Parmi elles, la suppression de la prime versée par plusieurs entreprises en vue d'aider les salariés pour l'achat du mouton. Bien qu'elle ne représente pas une somme importante, son maintien ou sa suppression est source de préoccupations, surtout en ces temps de vaches maigres. Les craintes s'intensifient également du côté des petits éleveurs qui ne vivent que du business de l'Aïd. La décision de suspendre le rite de l'Aïd Al-Adha au Maroc est tombée comme un couperet pour une multitude d'acteurs économiques, bien au-delà des seuls éleveurs. Si ces derniers sont les plus touchés par cette mesure, d'autres professions, ainsi que les salariés du secteur formel, s'interrogent sur les répercussions financières de la mesure. L'inquiétude gagne les travailleurs bénéficiant d'une prime exceptionnelle à l'occasion de l'Aïd, habituellement versée par certaines entreprises pour aider à l'achat du mouton. Cette somme, oscillant entre 700 et 1.500 dirhams, constitue un soutien important pour de nombreux ménages. «Cette prime ne se justifie pas uniquement par l'achat du mouton, mais aussi comme un coup de pouce au pouvoir d'achat des salariés», explique un spécialiste en ressources humaines. Selon lui, sa suppression, en raison de l'a suspension du rite du sacrifice, pourrait être perçue comme peu solidaire dans un contexte économique déjà éprouvant. Ainsi, certains employeurs pourraient être tentés de revoir leur politique de primes. Une filière en détresse Du côté des éleveurs, la situation est critique. La suspension du rite signifie une chute brutale de la demande et donc un effondrement des prix, comme nous l'avions soulevé dans notre édition du 22 janvier. D'ailleurs, dès l'annonce de la décision, les prix des ovins et caprins ont chuté de près de 50%, mettant en péril les investissements de certains éleveurs qui avaient déjà engagé des sommes considérables dans l'engraissement et la préparation du cheptel pour l'occasion. «Ce sont surtout les spéculateurs ayant massivement investi qui subiront les plus grosses pertes», analyse Mohamed Tahar Srairi, professeur à l'Institut agronomique et vétérinaire (IAV) Hassan II. Néanmoins, il souligne que cette situation pourrait favoriser la reconstitution du cheptel en encourageant la préservation des jeunes femelles destinées à la reproduction. L'impact de cette décision dépasse la seule sphère de l'élevage. En amont, les fournisseurs d'aliments pour bétail risquent une baisse significative de la demande. En aval, les abattoirs, transporteurs et bouchers voient s'envoler une part essentielle de leur chiffre d'affaires annuel. «L'enjeu va bien au-delà de la simple vente de moutons. La chaîne de valeur dans son ensemble est affectée, et il faudra du temps pour absorber ce choc», alerte Mohamed Bajeddi, agroéconomiste. Un enjeu de taille Par ailleurs, la préservation des races ovines locales devient un sujet majeur de préoccupation. Actuellement au nombre de sept, ces races sont menacées par le ralentissement de la reproduction et l'absence de débouchés commerciaux suffisants pour encourager leur élevage. «Les grandes exploitations, qui bénéficient déjà de subventions, ont plus de marge pour absorber le choc. Mais les petits éleveurs, eux, sont en première ligne et risquent de disparaître», alerte Driss Ada, syndicaliste agricole à l'UMT. Si la décision a été prise pour des raisons économiques et environnementales, notamment en raison du stress hydrique que connaît le pays, la question de la compensation des pertes pour les éleveurs reste en suspens. Selon nos informations, une réunion entre l'Association nationale des éleveurs d'ovins et caprins (ANOC) et le ministère de l'Agriculture s'est tenue vendredi dernier. À l'heure où nous mettions sous presse, aucune information sur les mesures envisagées n'a filtré. Quoi qu'il en soit, l'enjeu est de taille, comment assurer un équilibre entre la nécessaire reconstitution du cheptel, la protection des petits éleveurs et la stabilisation du marché ? L'option d'une vente du bétail par lots pourrait être une alternative, mais elle ne suffira pas à compenser les pertes des acteurs les plus fragiles. Une chose est sûre, cette suspension de l'Aïd Al-Adha ouvre un débat de fond sur l'avenir de l'élevage dans le cadre d'une politique agricole plus inclusive et résiliente. Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO