Face à une crise sans précédent de la filière élevage, le gouvernement tente de limiter la casse. À l'approche de l'Aïd Al Adha, la question du maintien du rituel du sacrifice divise, tandis que les professionnels s'alarment du manque de vision stratégique pour reconstituer durablement le cheptel. Le programme annoncé par le ministère de l'Agriculture sera-t-il suffisant pour redresser la filière et résorber le déficit en matière de sécurité alimentaire ? Les spéculations vont bon train concernant le maintien ou pas du rite du sacrifice cette année. Sur ce dossier, l'intervention du ministre de l'Agriculture, Ahmed El Bouari, lors du Conseil du gouvernement jeudi dernier, était très attendue. Parmi les chiffres présentés lors de cette rencontre, le ministre a indiqué qu'une baisse inquiétante de 38% du cheptel national a été observée par rapport à 2016, ce qui a conduit à une chute de la production de viande. Cette situation a contraint le gouvernement à prendre des mesures exceptionnelles dans le cadre de la Loi de finances 2025. Parmi celles-ci figurent la suspension des droits de douane et l'exonération de la TVA sur l'importation des ovins, caprins, bovins, camélidés et viandes rouges. Dans ce contexte tendu, les importations de bétail et de viande ont explosé en janvier et février 2025, avec 21.800 têtes de bovins, 124.000 têtes d'ovins et 704 tonnes de viandes rouges achetées de l'étranger. En parallèle, la superficie plantée en blé tendre, blé dur et orge, essentielle à l'alimentation du pays, est passée à 2,6 millions d'hectares contre 2,4 millions l'année précédente. L'élevage, parent pauvre du secteur primaire Les observateurs s'accordent à dire que dans les stratégies agricoles passées, l'élevage a été délaissé, alors qu'il s'agit du pilier de tout l'écosystème agricole. Comme disent les professionnels, s'il n'y a pas de cheptel, il n'y a pas d'agriculture. Autre donne cruciale, la valorisation des ressources hydriques, dont dépend l'élevage. Selon un professionnel agronome, pour reconstituer l'élevage, de simple «mesurettes» ne suffiront pas. C'est une politique en bonne et due forme qui devrait être adoptée pour remonter la pente. L'agroéconomiste Mohamed Bajeddi s'interroge sur le sort qui sera réservé au cheptel importé. Pour lui, s'il est destiné à reconstituer le cheptel national, la démarche est louable. Dans le cas où ces animaux sont destinés à la consommation, c'est le drame. Quant au rituel du sacrifice, l'expert estime qu'il aurait été opportun de ne pas le maintenir ces dernières années, surtout que les chiffres énoncés ne reflètent pas la situation réelle, notamment celle des petites exploitations familiales qui représentent 85% de la production. En outre, aucun élément sur la reconstitution et la reproduction du cheptel n'a été dévoilé. Dans le même registre, d'autres professionnels déplorent le manque de données relatives au dernier recensement du cheptel, effectué en 2016. Soutien à la production Malgré une sécheresse persistante qui pèse lourdement sur le secteur agricole, l'approvisionnement ne devrait pas être impacté, a tenu à rassurer El Bouari. Pour y parvenir, son département a mis en place une série de mesures destinées à soutenir et accompagner les agriculteurs au cours de cette campagne agricole. Elles portent notamment sur la mise à disposition et la subvention des semences sélectionnées des céréales d'automne, soit environ 1,3 million de quintaux, ainsi que des engrais azotés (près de 200.000 tonnes). Cependant, la production de volailles et d'œufs a augmenté par rapport à l'année précédente, a précisé le ministre, ajoutant que son département ambitionne, dans les mois à venir, d'accroître cette production tout en maintenant des prix abordables pour les citoyens. El Bouari a aussi évoqué l'initiative visant à assurer une offre de poissons à des prix accessibles aux citoyens pendant le mois sacré de ramadan. Face à ce recul alarmant du cheptel national, le gouvernement a mis en place un programme d'envergure pour soutenir la production animale. Ce dernier repose sur six axes clés, incluant la fourniture d'aliments subventionnés aux éleveurs, l'amélioration de la productivité des ovins, caprins, bovins et camélidés par un encadrement technique renforcé, ainsi qu'un volet dédié à la santé animale. Il inclut également un programme d'agriculture solidaire axé sur l'élevage, avec un soutien à la préservation des femelles pour la reconstitution du cheptel. Dans ce sens, un programme spécifique destiné aux jeunes ruraux, dans l'objectif de soutenir leurs projets de production animale, est en cours d'élaboration par le ministère. Ceci étant, les experts restent dubitatifs quand à la prise en compte de la donne climatique et ses répercussions dans les différentes stratégies, surtout que la sécurité alimentaire ne fait que se dégrader (moins de 50% actuellement contre 80% en 2019, selon la FAO). Maryem Ouazzani / Les Inspirations ECO