Plus de traitement de faveur pour les touristes saoudiens depuis le démantèlement de la cellule d'Al Qaïda. Hier courtisés pour leur argent qui coulait à flots, aujourd'hui suspectés pour ce qu'ils peuvent potentiellement représenter. Un touriste saoudien qui a peur des conséquences en cascade. Des chambres d'hôtel vides, des groom qui se tournent les pouces et de généreux pourboires en moins. Les activités annexes elles aussi prennent soudain un sérieux coup : les amours tarifées et grassement payées et tout ce qui tourne autour de cette “prestation», cabarets, bars, restaurants, taxis… Déjà, les différents prestataires de service officiels et informels poussent un long soupir à cause du risque de tarissement de cette source considérable de devises que sont les Saoudiens au Maroc. Le coup de tonnerre qui a déchiré le ciel du tourisme marocain n'est autre que le démantèlement spectaculaire en mai dernier de la cellule “dormante» d'Al Qaïda, dont les trois membres de nationalité saoudienne, déférés depuis devant la justice, planifiaient des actes terroristes. Cette affaire, qui a donné froid dans le dos à plus d'un dans le pays et ailleurs, n'arrange pas bien entendu les intérêts de nombre d'opérateurs du secteur, notamment celui des loisirs. Un grand hôtelier casablancais témoigne : «J'ai senti chez mes clients saoudiens une inquiétude certaine. Ils sont mal à l'aise. Je ne sais pas si dans les semaines à venir le Maroc sera pour eux une destination toujours aussi prisée comme à l'accoutumée». Cette déclaration résume l'état d'esprit de nombre d'opérateurs du secteur, qui faisaient du chiffre grâce à la manne des gens du pays du wahabisme. Hier courtisés pour leur agent qui coulait à flots, aujourd'hui suspectés pour ce qu'ils peuvent potentiellement incarner. Drôle de retournement de situation. À l'aéroport Mohammed V à Casablanca, par exemple, les consignes sont claires: les différents services ont été invités à plus de vigilance et de rigueur dans le contrôle d'identité des passagers issus de l'Arabie saoudite en particulier et du Moyen-Orient en général. Autres temps, autres politiques. Le spectre Ben Laden plane sur le Maroc. Un spectre qui justifie plus que par le passé surveillance et prudence, quitte à ce que l'activité touristique s'en soit amoindrie. Si les professionnels sont conscients du danger Ben Laden et de sa pieuvre planétaire, ils ont du mal par contre à comprendre le communiqué trop alarmiste à leur goût dont a donné lecture le procureur du Roi près la Cour d'Appel à Casablanca et dont la presse nationale et internationale s'est fait l'écho. Pour eux, les autorités marocaines auraient pu faire l'économie des projets terroristes de la cellule Al Qaïda sur le sol national, notamment l'attentat dans un café de la célèbre place Jemaâ El Fna à Marrakech. «En diffusant cette information à grande échelle, le Maroc a invité lui-même les touristes à ne pas se rendre chez lui», s'indigne, interloqué, un directeur d'hôtel à Marrakech. Il ajoute : «Même si c'était vrai, je ne vois pas l'intérêt de claironner que Marrakech était menacé par une attaque terroriste“. Ce constat est partagé par l'ensemble des acteurs de la profession. Il est vrai que le pays, qui souffre déjà des conséquences du 11 septembre et de l'action terroriste de Djerba en tunisie, n'avait pas besoin, économiquement parlant, d'une autre alerte. Mais le fait même qu'un groupe lié à Ben Laden soit arrêté au Maroc change de facto la donne du Royaume par rapport à la communauté des touristes. En fait, l'initiative de dévoiler les projets terroristes qui visaient le Maroc était destiné moins à dramatiser les choses et à forcer le trait qu'à faire prendre conscience aux Marocains, simples citoyens et responsables de tous bords, qu'ils ne sont plus désormais à l'abri des complots d'Al Qaïda et qu'ils sont invités à plus de vigilance et de mobilisation. Autre message fort derrière le communiqué du procureur, ce réseau dangereux dispose de ramifications et de complicités dans certains milieux islamistes locaux. Très grave. Autrement dit, c'est la stabilité même du pays qui était en jeu dans cette affaire malheureuse. Pourquoi le taire ?