La station de traitement des eaux usées de Tanger se dressera au pied de la casbah, au grand dam de nombre de ses habitants. Certains en défendent pourtant le caractère vital pour la ville. La polémique bat son plein entre les tenants du respect d'un patrimoine historique et les pragmatiques qui font fi de l'esthétique. Sa nécessité est impérieuse, mais son emplacement pose problème. La plate-forme de la station de traitement des eaux usées de la ville de Tanger déchire les passions. Il y a d'un côté les habitants de la casbah dont certains crient au massacre esthétique, et de l'autre ceux qui en appellent à la raison pour assainir «l'une des plus belles baies au monde». Les travaux du chantier ont déjà commencé. La plage de Bouknadel, au pied de la casbah, est transformée en chantier. Des baraques ont été construites pour abriter les ouvriers. Des bulldozers s'activent au milieu de blocs de pierre. Rien n'est encore visible au large où la «plate-forme maritime», comme elle a été baptisée, sera dressée. D'un montant de 60 millions de DH, le projet a été confié à la société Amendis qui vient de publier une lettre d'info pour donner des détails sur la plate-forme. «D'une superficie totale de 10 800 m2 avec 7000 m2 de surface utile, la plate-forme aura une forme rectangulaire de 70 x 140 m et sera située à 200 m à l'ouest de l'enracinement de la jetée du port». S'il permet de se faire une idée de la taille de la plate-forme, ce descriptif demeure toutefois assez vague pour avoir une représentation de l'ouvrage. A quoi va-t-il ressembler. A quel hauteur s'élève le béton de l'eau ? Dix, quinze, vingt mètres ? Une pétition a été signée par nombre d'habitants de la casbah. Ils dénoncent un projet qui «dénature» un patrimoine historique. Ils expliquent que la casbah constitue la première image du Maroc qui vient à l'esprit du voyageur étranger. «Pourquoi la détruire irrémédiablement ?» L'écrivain Abdelouahed Meddeb a pris leur parti en consacrant l'une de ses chroniques sur Medi 1 au sujet. Il appelle à ce que le chantier «soit déplacé vers un lieu plus discret». Les arguments des contestataires du projet sont amplement d'ordre esthétique. Il est vrai que la vue de la casbah ne sera plus la même après l'implantation d'un bloc de béton. Il est vrai que le prestige de Tanger lui vient en grande partie de son patrimoine historique et de son prestige artistique et littéraire, et que cette réputation risque d'être ternie par la plate-forme. La casbah est citée dans le journal d'Eugène Delacroix. Elle a été peinte par Henri Matisse. Il ne faudrait pas toutefois croire que la contestation de l'emplacement de la station fait l'unanimité parmi les acteurs de la société civile à Tanger. Larbi R'Miki, président de l'association Tanger-région action culturelle, la défend corps et âme : «Cela fait dix ans qu'on l'attend et la santé économique de la ville en dépend ! Ce projet est d'intérêt vital pour Tanger». Il explique que la baie de Tanger, qui va de la jetée du port jusqu'à Malabata, est inutilisable pour les baigneurs et dégage régulièrement de mauvaises odeurs. Lorsqu'on lui dit que tout le monde reconnaît l'utilité du projet, mais que c'est son emplacement qui est controversé, il répond : «est-ce qu'on va sacrifier l'intérêt de la ville au nom de l'esthétique ?». Pourtant, Amendis n'a pas jeté son dévolu de prime abord sur la casbah. Un site à Oued Lihoud a été retenu au préalable, mais «il a été écarté par l'ancien président de la commune, rien que parce qu'il se trouvait en bas de sa maison», affirme M. R'miki. La jetée du port a également été retenue. Selon un habitant de la casbah, Amendis aurait même préféré «coller la plate-forme à la jetée» : l'ouvrage aurait constitué un bloc homogène avec le port et aurait même coûté moins d'argent. Ce site semblait d'autant plus indiqué que les installations logistiques du port sont de toute façon appelées à disparaître avec la mise en service du nouveau port Tanger-Med en septembre 2007. L'ODEP, dont l'ancien directeur est l'actuel wali de Tanger, n'aurait pas voulu d'un ouvrage encombrant, parce qu'il projetterait de construire une marina. Même si les élus locaux, à leur tête le maire de Tanger, expliquent que la casbah constitue l'espace idéal pour la station, il est clair que ce projet a échoué sur ce site après avoir été écarté d'autres. Les habitants de la casbah se mobilisent pour que le béton ne leur cache pas l'horizon. L'un des plus actifs est Salvy de Richemont, un Français établi dans la casbah. Il balaie d'un revers de main les arguments de ceux qui défendent ce projet : «A l'heure actuelle, Amendis n'a pas encore montré les plans et la maquette de la station. Il est aberrant de se prononcer sur cette plate-forme, alors que personne ne l'a vue». La grande inconnue demeure donc la configuration de cette station. A quoi va-t-elle ressembler ? Et si la ville l'attend pour se débarrasser des mauvaises odeurs et avoir une baie propre, il ne faudrait pas que cette propreté soit soufflée par un monstre hideux.