Les faits sont têtus. La société émiratie reproduit au Maroc un scénario identique en tous points à l'opération qu'elle avait menée en Syrie fin 2001. Les responsables marocains, en continuant à fermer les yeux, cautionnent l'escroquerie de dizaines de milliers de jeunes. Le doute commence à gagner les candidats à l'émigration chimérique. L'Anapec (l'Agence nationale pour la promotion de l'emploi et des compétences) est en passe, peu de temps après sa création il y a à peine un an, de se faire une contre-publicité d'enfer. Tout porte à croire que cette jeune agence, qui dispose d'un réseau de 19 représentations à travers le territoire, a entraîné des milliers de jeunes marocains dans les fonds d'une escroquerie à l'emploi sans précédent. Les fameux jobs de Al Najat à bord de bateaux de croisière en Europe. Voire… Et pourtant, pas besoin d'être un grand clerc pour deviner que la ficelle était grosse. Il fallait tout juste, avant d'engager la responsabilité de l'État et d'ouvrir les vannes des candidatures dans les provinces, se poser des questions confondantes de simplicité. Un exercice indispensable qui s'impose d'emblée à l'esprit que le directeur général de l'Anapec, Chafik Rached, semble avoir négligé. Très grave. D'abord une remarque de fond. Qu'est ce que l'Anapec est allée faire dans cette galère de recrutement massif de main d'œuvre non qualifiée (à supposer même que l'offre soit réelle) au risque de se fourvoyer et de se détourner de sa fonction de base. Ce n'est pas en effet pour jouer le rôle d'un bureau de placement à l'étranger des Marocains qu'elle a été créée. Comme son nom l'indique, cette agence a pour mission de convaincre les entreprises privées de l'intérêt de se doter de méthodes de recrutement modernes. Une approche novatrice fondée sur la recherche de compétences et sur l'amélioration du niveau des ressources humaines tout en montrant aux chercheurs d'emplois qu'ils peuvent en trouver pour peu qu'ils offrent leurs services et leur savoir-faire. Pour relever ce défi ambitieux, l'Anapec avait besoin de se mobiliser autour d'un projet aux contours clairs, de s'appuyer sur une équipe de professionnels alliant dynamisme, capacité d'écoute et pertinence d'analyse. Or, la réalité est tout autre. La majorité des recrutements opérés par l'agence pour ses propres besoins ne semble pas répondre à une logique de recherche des compétences mais plutôt à des priorités externes nourries souvent de considérations clientélistes. L'Anapec elle-même qui n'obéit pas à des critères objectifs d'embauche de ses propres employés alors qu'elle est censée placer des compétences dans les entreprises ! La vocation essentielle de L'ANAPEC aurait-elle été réduite à une structure pour caser les copains et les coquins ? Les rares cadres que cette situation de favoritisme révulse et scandalise ont d'autant plus peur de dire ouvertement ce qu'ils pensent que la directrice de l'agence de Casablanca fut révoquée récemment pour avoir posé des questions sur le retard pris dans l'attribution aux antennes Anapec des moyens de fonctionnement. Autrement dit, aucune once de critique n'est tolérée dans cette citadelle. Sinon, les contestataires risquent de connaître le même sort que leur ex-collègue. Mais aujourd'hui, à la faveur du scandale des 30.000 emplois aussi fictifs qu'un mirage d'été, les langues commencent à se délier. Sous les propos des mécontents pointe un sentiment de ras-le-bol. Les confidences recueillies sont ahurissantes. En colère, un cadre s'estimant marginalisé souligne : “ pour avoir une idée sur l'ambiance à l'Anapec, il convient de savoir que la réunion du comité de direction ne s'est pas tenue depuis octobre 2001. Un autre renchérit : “il n'existe pas d'équipe de direction. En plus, les actes de gestion des ressources humaines ne donnent pas lieu à des procédures formalisées connues de tous et orientées vers une meilleure qualité du service public. Les affectations se font généralement en fonction du domicile des agents et non pas des besoins des agences.“ On apprend aussi que les secrétaires sont engagées sans vérification préalable de leurs compétences bureaucratiques, que les recrutements des conseillers sur des postes de 2002 se font sans procédure de sélection aucune et que les règles d'élaboration et de diffusion des instructions ne sont pas définies. Nous sommes donc face à une gestion des ressources humaines informelle. Par ailleurs, certains mettent en avant le caractère “clientéliste“ dans le processus des recrutements confié par les entreprises à l'Anapec. Ce qui porte un coup sérieux à la crédibilité de l'établissement. Ingénieur Ponts et Chaussées de Paris, Rached Chafik, la quarantaine, qui se targue d'être un militant istiqlalien, était recruté au départ comme cadre à la direction de programmation et études au ministère de l'Équipement. Il s'installe ensuite à son compte dans le privé en créant avec un associé la société ENPC (Entreprise nouvelle Ponts et Chaussées). L'affaire ne tarde pas à péricliter et à être mise en veilleuse. M. Rached tente de nouveau sa chance vainement avec une autre entreprise opérant toujours dans le secteur du génie civil. Avant d'être engagé comme directeur technique par le groupe français, la Générale Routière. Dans une situation comme celle où est arrivée l'affaire des 30.000 emplois fictifs, la position du directeur de l'ANAPEC est certainement très délicate. Mais, de toutes les manières, la fuite en avant est la pire des solutions.