ALM : Que signifie concrètement la ratification du Royaume du protocole facultatif de la convention internationale pour la lutte contre la torture ? Nouzha Skalli : La loi fondamentale au Maroc, à savoir la Constitution de 2011 à travers l'article 22, a clairement consacré le droit à l'intégrité physique ou morale de quiconque et a interdit tout traitement cruel, inhumain, dégradant ou portant atteinte à la dignité et a enfin explicitement qualifié de crime puni par la loi la pratique de la torture, sous toutes ses formes et par quiconque. L'annonce du dépôt par le Maroc des instruments pour la ratification du protocole facultatif relatif à cette convention traduit notre engagement à mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture doté du droit de visite dans tous les lieux où se trouvent des personnes en privation de liberté et de permettre les visites à des comités nationaux et internationaux . Ainsi l'article 1er du protocole facultatif en indique l'objectif en ces termes : «Le présent protocole a pour objectif l'établissement d'un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants». Le Maroc devient ainsi un des trente pays qui mettront en place un tel mécanisme. Il s'agit là d'une avancée majeure du Maroc en matière d'élimination de la torture et d'approfondissement de la consécration des droits humains dans notre pays. Pour ce qui est de la peine de mort, le Maroc est abolitionniste de fait. Qu'est-ce qui justifie ou non le maintien de ce positionnement ? Je ne résiste pas à la tentation de vous répondre par une autre question : Comment peut-on se proclamer contre toute forme de torture, de traitement cruel ou inhumain et en même temps songer à garder cette peine cruelle et inhumaine qu'est la peine de mort, dans notre arsenal juridique marocain. Y a-t-il une forme de torture plus atroce que d'infliger la mort à une personne! D'autant plus que la Constitution marocaine a clairement consacré dans son article 20 le droit à la vie. Des passages très importants du discours royal sont venus encourager et insuffler une nouvelle énergie au mouvement abolitionniste dans notre pays: «Dans de nombreuses régions du monde en effet, le repli sur soi, le rejet de l'autre et l'intolérance, basés sur des motifs ethniques ou sur une lecture pervertie des nobles messages religieux, aboutissent à des violations flagrantes des droits fondamentaux et notamment du principe sacré du droit à la vie», a déclaré Sa Majesté le Roi qui s'est par ailleurs félicité du débat, autour de la peine de mort, mené à l'initiative de la société civile et de nombreux parlementaires et juristes et qui «permettra la maturation et l'approfondissement de cette problématique». Il est temps que le gouvernement se mette au diapason de la société civile, se conforme avec sa Constitution et à l'avis éclairé de Sa Majesté Amir El Mouminine. Il est temps pour nous de ratifier le deuxième protocole facultatif relatif au pacte international des droits civils et politiques, abolissant la peine de mort et en attendant, de voter à l'Assemblée générale des Nations Unies en faveur du moratoire sur l'exécution de la peine de mort. Quelle lecture faites-vous des décisions annoncées dans la lettre royale concernant la situation de la femme et de l'enfance au Maroc? La lettre royale a exprimé sa symbiose avec les revendications du mouvement droits-de-l'hommiste et du mouvement féminin en considérant la question de l'égalité et de la parité comme l'enjeu premier en matière des droits de l'Homme et en se félicitant de la place importante donnée à cette question dans le Forum mondial. Ainsi, a souligné le message royal, 20 ans après la conférence de Beijing qui a adopté à l'unanimité les déclarations et plate-forme de Pékin, malgré les avancées, «les réalisations sont loin d'être à la hauteur des ambitions alors tracées». En parlant du bilan de notre pays, Sa Majesté a relevé que bien que notre pays ait fait de cette question un des axes principaux des politiques publiques, beaucoup reste à faire : notamment en ce qui concerne les lois contre le travail domestique des fillettes et contre la violence à l'égard des femmes. Enfin l'annonce de la prochaine installation de l'APALD, autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discrimination prévue dans l'article 19 de la Constitution, a été accueillie par les cris de joie et les salutations de l'assistance. Ce message fort met clairement la balle dans le camp du gouvernement qui est, hélas, atteint d'immobilisme aigu dès qu'il s'agit des droits des femmes et de l'égalité ! Sommes-nous (pays africains) vraiment prêts à nous passer de la tutelle du Nord et sortir de la case consommateurs des droits humains? A ce sujet, une des idées importantes du message royal est que «l'universalité des droits humains ne saurait être sujette à des remises en cause». Toutefois, nos pays sont appelés à une meilleure appropriation de ces droits universels intangibles en les enrichissant de notre propre culture et notre propre génie. Cela ne devrait en aucun cas servir de prétexte pour contester les droits acquis en matière des droits de l'Homme et des droits des femmes et des enfants. Au contraire, il s'agit pour nous de renoncer à l'inertie en matière de réformes en faveur des droits de l'Homme sur des questions que nous considérons comme taboues et avoir une attitude plus courageuse en puisant dans notre propre patrimoine historique et civilisationnel, les arguments qui nous permettent de continuer à aller de l'avant en toute conviction.