C'est une foule immense, bigarrée, venue des quatre coins de la planète, pas une seconde découragée par les fortes intempéries, qui a convergé vers Marrakech pour prendre part au deuxième Forum mondial des droits de l'Homme, un an après la première édition tenue à Brasilia. Durant 3 jours, quelque 7.000 conférenciers issus de 95 pays ont pu participer à une multitude de tables-rondes, d'ateliers et de conférences, brassant l'ensemble des problématiques inhérentes à la question des droits humains, sans tabou ni retenue. Si tout n'a pas été parfait, le Forum mondial des droits de l'Homme (FMDH) aura au moins consacré l'exercice salutaire de libération de la parole. La culture du dialogue et de l'écoute a imprégné les débats sur tous les sujets abordés jusqu'aux plus polémiques, comme la liberté de conscience ou l'abolition de la peine de mort. Ce qui en soi constitue déjà une grande victoire pour les organisateurs et pour le Royaume. Il faut dire que dès le début des festivités, lors de la cérémonie d'ouverture en plénière, le ton a été donné par le message royal aux participants, dont lecture a été faite par Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des Libertés. En effet, il est d'emblée apparu à la lecture du message Royal que ce forum ne se résume pas à une opération séduction du Maroc dans le but de soigner sa vitrine, mais il est porteur d'annonces et d'actes concrets qui vont dans le sens de l'histoire d'un pays qui s'engage depuis 15 ans sur le chemin de la consolidation des droits de l'Homme et des libertés les plus fondamentales. Une Autorité constitutionnelle pour la parité Le premier enjeu identifié par SM le Roi Mohammed VI concerne «les questions de l'égalité et de la parité, inscrites comme des objectifs à caractère constitutionnel dans notre Texte fondamental depuis la réforme constitutionnelle de juillet 2011». A ce sujet, le souverain a reconnu dans son discours adressé à l'évènemenent que malgré les nombreuses avancées du Maroc en la matière, «beaucoup reste à faire». C'est dans ce sillage que le Roi a rappelé qu'une «loi sur le travail domestique est actuellement en discussion au Parlement», avant d'annoncer «l'élaboration d'une loi sur la lutte contre la violence à l'égard des femmes». Pour institutionnaliser ces mesures, le message royal fait une annonce majeure : «une Autorité pour la parité et la lutte contre toute forme de discriminations, organe constitutionnel, devrait être installée prochainement». Ce qui a déclenché une salve d'applaudissements dans la salle accompagnée d'une standing ovation spontanée. L'autre annonce majeure contenue dans le message royal concerne le dépôt, peu avant la tenue du FMDH, par le Royaume «des instruments de ratification du protocole facultatif de la Convention internationale contre la torture et autres traitements inhumains, cruels ou dégradants, en vue de la mise en place dans les prochains mois d'un Mécanisme national de prévention». Avec cette initiative, le Maroc deviendra ainsi le 54ème pays à se doter d'un tel mécanisme, et s'inscrit plus que jamais dans «ce choix irréversible en faveur de la protection et de la promotion des droits de l'Homme». Par ailleurs, et toujours au chapitre des annonces fortes, le souverain a affirmé que le Royaume compte «ratifier le troisième Protocole facultatif à la convention relative aux droits de l'enfant», qui doit instaurer un mécanisme de transmission des plaintes des enfants. Enfin, le message royal a plaidé pour une participation plus active des pays du Sud afin d'être acteurs à part entière dans l'élaboration des normes dans le domaine des droits humains : «le monde en développement et l'Afrique en particulier veulent devenir acteurs de la production de normes dans le domaine des droits de l'Homme et ne veulent plus être réduits à des objets de débats et d'appréciations et à des terrains d'expérimentation». Un message qui fait sens lorsque l'on sait que les deux premières éditions du FMDH ont eu lieu dans des pays du Sud : Brésil et Maroc. Zapatero enflamme la salle Après la lecture du message royal, les discours de personnalités se sont succédés à la tribune. L'un des plus lyriques et les plus marquants fut celui de José Luis Rodriguez Zapatero, l'ancien Premier ministre espagnol, qui a fait un vibrant plaidoyer pour les droits de l'Homme, la démocratie et la paix : «Nous avons attendu des siècles pour avoir un idéal des droit de l'Homme», clame-t-il. Avant d'ajouter : «Il y a certaines personnes envers lesquelles l'histoire était injuste et c'est le moment de rectifier cela». A ses yeux, le premier objectif pour l'Agenda de développement post-2015, la priorité des priorités, «c'est l'égalité homme/femme». Il conclut en félicitant le Maroc pour ses avancées et pour ses promesses au sujet des droits des femmes et du dialogue sur la révision de la peine de mort. Cris du coeur et émotion «Nous voulons être les égales de nos frères et de nos cousins» : l'intervention de Naima Ammar, représentante des femmes soulaliyates qui luttent pour la reconnaissance de leurs droits, aura été un autre temps fort de la plénière du FMDH. Son discours poignant en darija, appelant à la mise en place d'un texte de loi qui rend justice à ces femmes privées de leurs droits à l'héritage, a conquis la salle. Cet élan de sympathie et ce cri du coeur lancé à la face du monde changera-t-il la donne ? On l'espère. Florence Bellivier, présidente de la coalition mondiale contre la peine de mort, a de son côté fait un vibrant plaidoyer pour l'abolition de la peine capitale. Selon elle, «le 21ème siècle sera celui de l'abolition de la peine de mort comme le 19ème siècle a été celui de l'abolition de l'esclavage, et le 20ème celui de la criminalisation de la torture». Elle espère que le Maroc, qui est abolitionniste de fait depuis 1993 mais qui ne l'est pas encore dans les textes, franchira le pas. D'autres intervenants ont rythmé cette séance plénière de leur discours en faveur des droits de l'Homme. Citons parmi eux le biélorusse Ales Bialiatski, vice-président de la Fédération internationale des ligues de droits de l'Homme, qui était il y a encore peu emprisonné dans son pays. Citons également Baudelaire Ndong Ella, président du Conseil des droits de l'Homme des Nations-Unis, ou encore Zeid Ra'Ad Al Hussein, Haut commissaire aux droits de l'Homme des Nations Unies, et Saber Chowdhury, président de l'Union interparlementaire, qui se sont succédé à la tribune. Signalons enfin, que le FMDH a réservé une grande place à la solidarité avec le peuple palestinien.