En situation oligopolistique, les opérateurs cimentiers locaux sont décriés pour la pratique d'une supposée politique de renchérissement des prix de vente. Le président de l'Association des cimentiers du Maroc remet les pendules à l'heure. Entretien. ALM : A partir de 1986, la révision des prix de vente ne nécessitait plus l'aval des pouvoirs publics. Comment jugez-vous l'évolution des prix depuis cette date ? Mohamed Chaïbi : Tout d'abord, il faut distinguer entre prix de marché (payé par le grand public) et prix net départ usine qui représente ce qui reste pour les cimentiers. Ce dernier a peu évolué (entre 1990 et 2003, le prix du ciment exprimé en dirhams constant a baissé de 17%. La modernisation des outils de production et les progrès du management cimentier sont à la base de cette baisse en termes réels): en dessous de l'évolution de l'inflation. Le prix au consommateur a surtout subi l'impact de la forte augmentation de la taxe spéciale sur le ciment, en deux temps : Une première fois 50 dh/T au 1er janvier 2002 (soit 6,7 % correspondant à la taxe spéciale sur le ciment), ce renchérissement de la taxe spéciale sur le ciment étant en faveur du Fonds de solidarité habitat et non des cimentiers. Une deuxième fois à compter du 1er janvier 2004, 50 dh/T. Dans un élan de solidarité en faveur du logement social, les cimentiers n'ont pas répercuté cette deuxième augmentation de cette taxe sur le consommateur et l'ont couverte en partie par une baisse de leurs propres marges. S'agissant des pesanteurs, l'industrie marocaine du ciment souffre du coût anormalement élevé de ses approvisionnements énergétiques. La structure des taxes renchérit le prix de revient de ces intrants. Comment le secteur fait face à ces contraintes ? En essayant de recourir aux énergies les moins chères, en particulier le passage continu des énergies les plus nobles vers les plus résiduelles : du fuel vers le charbon et du charbon vers le coke, puis l'utilisation récemment des huiles usagées, des pneus déchiquetés, mais en quantités minimes. De plus, on améliore la performance technique en réduisant les ratios. (La consommation calorifique d'une tonne de ciment est passée de 1450 thermies à 900 thermies. La consommation de l'énergie électrique nécessaire pour le broyage d'une tonne de ciment est passée de 120 à 100 Kwh) par le progrès technique (passage de la voie humide ou semi-sèche à la voie sèche notamment). Cette situation induit une politique de prix élevé, qui défavorise la compétitivité de l'industrie marocaine face à des pays proches ou comparables. Quel est votre commentaire ? Il est sûr que cette situation de taxation en amont et en aval des intrants (énergie) et du ciment (taxe spéciale) fait que le prix public apparent se trouve renchéri. Néanmoins, si on le compare aux pays du pourtour méditerranéen développés ou similaires, il reste situé à un niveau moyen. Le prix du ciment au Maroc est comparable à celui de l'Espagne et de l'Italie et il est nettement inférieur à celui de la France et du Portugal. Cependant, il est supérieur à celui de l'Egypte et de la Turquie qui bénéficient d'une énergie beaucoup moins chère et qui connaissent des dévaluations monétaires importantes. A titre d'exemple, une tonne de ciment produite au Maroc nécessite une énergie dont le coût est de 11,50 $ US, alors qu'une tonne de ciment produite en Egypte ne nécessite qu'une dépense de 6,60$ US. Une note de BMCE Capital démontre que comparativement à d'autres pays similaires du pourtour méditerranéen, et sur la base d'un tarif courant de USD 66 HT la tonne de ciment vrac en 2002, le Maroc présente un différentiel de prix de plus de USD 18 HT la tonne de ciment vrac. Qu'en pensez-vous? Il ne faut pas parler de vrac au Maroc : 90% du ciment est commercialisé en sac. De plus, sur les USD 18 HT, un bon tiers s'explique par la différence du coût de l'énergie, la dévaluation des monnaies (notamment de l'Egypte et la Turquie) par rapport au dollar expliquant le reste. Selon la même note, en situation oligopolistique, les opérateurs cimentiers locaux réalisent des niveaux de rentabilité importants, appuyés en cela par la pratique d'une politique de prix de vente élevé ? Il faut rappeler en même temps que même si les prix sont fixés librement, comme je l'ai mentionné plus haut, les prix nets pour les cimentiers évoluent moins vite que l'inflation. Par ailleurs, ces mêmes prix ont déjà commencé à baisser, puisque le prix net 2004 est inférieur à celui de 2003 d'environ 8%. Enfin, avec le démantèlement douanier qui se poursuit, qu'il y ait oligopole ou pas, les prix pourront difficilement évoluer positivement. La marge brute d'exploitation du secteur cimentier connaît un accroissement soutenu, pour se fixer en 2003 à 45 %, soit une progression de l'ordre de 4,5 points comparativement à l'exercice 2000. Ne trouvez-vous pas ces marges excessives ? Une augmentation d'un point par an au moment où la saturation de l'outil de production a progressé de plus de 3 points par an n'est pas extraordinaire. Il faut savoir qu'un outil de production saturé fonctionne avec les mêmes frais fixes qu'un outil non saturé, donc sa marge brute augmente plus vite que n'augmente normalement le taux de saturation. Pour ce qui est du niveau de marge en lui même, il faut rappeler que cette marge est dégagée, alors qu'on est au maximum de production possible et qu'elle sert notamment à assurer l'autofinancement partiel des augmentations de capacité qui sont programmées et dont la réalisation a déjà commencé. L'industrie cimentière marocaine a réalisé entre 1990 et 2003, des investissements globaux de 11 milliards de dirhams. Entre 2004 et 2008, les programmes lancés par les membres de l'APC totalisent 6,5 milliards de dirhams pour les extensions de capacité et la création de nouveaux sites et portent sur 5 millions de tonnes supplémentaires. Du reste, si on prend l'exemple de Ciments du Maroc depuis 1990, les investissements cumulés sont de 3,5 milliards de DH, le prélèvement de l'Etat est à 4,1 milliards, les salaires à 1,3 milliards et les dividendes distribués à 1,12 milliards. Vous voyez que ces marges sont nécessaires pour faire face aux diverses autres affectations (dividendes, salaires…).