Le viol est un crime de haine et non pas d'amour, qui se traduit par l'humiliation et la dégradation du corps et de l'âme d'une femme. C'est ce que semble ignorer Abdelouahed, qui a violé une étudiante universitaire. Vendredi 3 mai 2002. L'heure précise n'a d'importance que pour les fins limiers de la brigade de la moralité publique (BMP) de la PJ de Casablanca-Anfa. Car, ils doivent respecter les 48 heures de garde à vue, auxquelles peuvent être ajoutées 24 heures supplémentaires. Abdelouahed, 28 ans et Halima, 24 ans, viennent de quitter le bureau de la BMP, descendent, sous la surveillance des policiers, du deuxième étage de la Préfecture de police et montent le fourgon. Ils n'échangent ni regards, ni paroles. Ce sont des adversaires, des ennemis. La destination : le siège de la Cour d'Appel de Casablanca. Le chef de la brigade se tourne vers Halima, la scrute minutieusement. Il ne peut plus s'empêcher de lui faire des reproches : «Tu es une étudiante en deuxième année de Littérature, à l'Université…Tu es donc instruite, consciente, …et pourtant tu es montée dans la voiture de quelqu'un que tu ne connaissais pas et à une heure tardive…Vraiment je n'arrive pas à comprendre tout cela…». Halima baisse la tête. Deux larmes coulent lentement de ses beaux yeux. Le chef se tourne vers Abdelouahed : «Et toi, pourquoi tu ne l'as pas considéré comme ta sœur qui a commis une faute en montant avec quelqu'un…ou comme une fille qui t'as fait confiance …Hein?…». Abdelouahed garde le mutisme. Trop tard pour dire quoi que ce soit. Il n'a pas fait fonctionner sa cervelle en son temps comme Halima. Ils sont tous deux fautifs. Le fourgon arrive. Halima et Abdelouahed en descendent, gravissent les marches, accèdent au siège de la Cour d'Appel, descendent à son sous-sol, se présentent devant le substitut du procureur. Il jette un regard sur le PV, lève ses yeux, regarde Halima, lui demande de parler. Seulement ses paroles cèdent la place aux larmes. « Parle, ma fille,…On n'a pas de temps… on a d'autres dossiers à examiner…», lui dit-on. «C'était le lundi 18 mars. Je faisais un tour au centre ville…une voiture ralentissant son allure, est passée près de moi… son conducteur m'a demandé de monter avec lui… J'ai refusé… je ne suis pas du genre qui monte dans les voitures… j'ai continué mon chemin… Il a garé sa voiture, en est descendu, et s'est dirigé vers moi… Il m'a demandé de l'accompagner pour boire un café quelque part… J'ai refusé… Il a insisté… J'ai refusé de nouveau… Il m'a expliqué qu'il voulait discuter avec moi et qu'il est à ma disposition… je lui ai expliqué que je suis une étudiante universitaire, en quête d'un emploi… Il a insisté pour me revoir ultérieurement… on a échangé nos numéros de portables… Il est parti… Le lendemain, mardi, il m'a téléphoné… On a fixé un rendez-vous pour dix-neuf heures à la Route de Médiouna… Je ne sais pas pourquoi j'ai accepté… je l'ai accompagné… Du centre ville, au boulevard de La Corniche, Aïn Diab, au Hay Hassani… On conversait amicalement… Mais vers vingt heures passées, il a accéléré… je ne sais pas pourquoi et je ne l'ai pas interrogé… il est arrivé dans un lieu désert, à la Route d'El Jadida, juste à côté des instituts universitaires… Il s'est arrêté… je lui ai demandé de me ramener chez moi… Il a refusé… J'ai commencé à sangloter, à hurler, j'ai poussé la portière, je me suis jetée en dehors voulant m'enfuir… Il est sorti, m'a saisie par la main, m'a giflée et m'a dit qu'on allait faire l'amour, qu'il abuserait de moi… que, comme le dite l'adage marocain, «l'entrée au hammam n'est pas comme sa sortie», … Il m'a ramenée à la voiture… Il n'y avait personne dans les environs… Il m'a frappée, torturée, il a déchiré ma chemise, il a enlevé mon pantalon, ma culotte… Il m'a déshabillée comme un monstre…et il m'a violé sans pitié… je lui ai demandé s'il avait des sœurs…Mais il ne s'intéressait qu'à son désir, qu'à son instinct sexuel…Il était comme un animal, en train de me mordre comme un cannibale, de me gifler si je sanglotais…». Les sanlots l'empêchent de continuer son pénible récit. Abdelouahed garde les yeux fixés au sol. Il ne regarde ni sa victime, ni le substitut du parquet général. Halima prend un mouchoir en papier, essuie ses larmes et reprend :“…Il n'hésitait pas à me violenter si je n'obtempèrait pas à ses ordres… C'est dur, dur, de vivre ces moments… Ils sont devenus un cauchemar qui me hante à chaque seconde… Je n'ai plus confiance en personne… Chaque homme me semble maintenant comme un monstre sans âme… Une fois repu, il a conduit sa voiture jusqu'au quartier Ifriqiya… Il m'a jetée en dehors comme quelqu'un qui crache un chewing-gum après l'avoir maché… lorsque j'ai descendu, j'ai noté le numéro d'immatriculation…». C'est le seul indice qui a permis aux limiers de la BMP de mettre la main sur Abdelouahed, marchand d'olives dans un local commercial au quartier Maârif. Il n'a rien trouvé à ajouter, confirmant les déclarations de Halima en précisant : «Je l'ai aimée dès le premier regand…»! Il semble ignorer que le viol n'est pas un crime d'amour mais de haine. Abdelouahed a été conduit par la suite au pénitencier Oukacha en attendant son jugement. Alors que Halima est retournée chez elle avec un cœur brisé et un corps humilié.