Vous allez me trouver mytho ou mégalo, mais je préfère ça à populo ou démago. Vous savez, vous et moi, nous nous connaissons depuis longtemps, et je vous dois de vous dire toute la vérité sur moi. J'ai décidé de vous avouer un de mes plus grands défauts – je ne pourrais pas vous les citer tous car il me faudrait plusieurs jours – un défaut qui a un rapport direct avec la relation qui nous unit, vous et moi, depuis de nombreuses années. Pour ne pas perdre encore plus de temps et plus d'espace, je vais très vite entrer dans le vif du sujet. Je me lance. J'y arrive. Voilà, je vais vous le dire : je suis terriblement complexé. Oh, non, pas par rapport à mon physique. De ce côté-là, je me trouve plutôt bien foutu. Ma bogossité légendaire m'a valu bien des jaloux et bien des envieux, aussi bien parmi les jeunes que parmi les vieux. La cause de mon complexe vient d'ailleurs. Ou plutôt d'ici, de mon propre pays, de mon propre métier, de mes propres confrères, les chroniqueurs, éditorialistes et autres billettistes. Je ne sais pas ce qu'ils ont de plus que moi, mais je ne comprends pas pourquoi, eux, tous les ministres, patrons de groupes parlementaires, patrons de partis et bien d'autres grosses pointures de ce pays, les engueulent, ou les boudent, ou leur font des reproches, ou, mieux encore, ne leur répondent plus au téléphone, ET PAS MOI ! Comment je le sais ? Mais ils l'écrivent et ils s'en vantent à longueur d'éditos et de billets, ET MOI, JAMAIS ! Parce que, voyez-vous, moi, aucun de ces gens prestigieux ne m'engueule, ne me boude, ne me fait de reproches et, encore plus, ne répond pas à mon téléphone. D'ailleurs, je n'ai même pas leur numéro pour leur téléphoner pour qu'ils ne me répondent pas. C'est vraiment injuste. Pourtant, comme mes autres confrères privilégiés, je n'épargne personne, ou presque. Bon, c'est vrai, je ne frappe jamais direct, jamais en-dessous de la ceinture, et, surtout, jamais dans le dos. En plus, la plupart du temps ce n'est pas très sérieux et c'est souvent plutôt rigolo, mais ce n'est pas une raison de m'ignorer comme ça. Moi, aussi, j'ai le droit de me faire tirer les oreilles par M. Benkirane quand je deviens trop barbant avec lui, ou me faire faire un kata par M. Ghallab quand je deviens trop gesticulant à son goût, ou me faire accrocher par M. Chabat quand j'essaye de démonter sa Tour Et-Fès , voire même me faire écrabouiller par M. Lachguar quand je prends un peu partie pour ses adversaires du parti. Ce sont juste quelques exemples des désirs qui me brûlent l'esprit depuis toujours. Hélas, je sais – et c'est ça mon terrible complexe – que quoi je fasse, quoi que je dise et quoi que j'écrive, personne ne fera attention à moi, MOI ! C'est comme si je n'existais pas. Cela dit, j'ai l'impression que j'ai encore de l'espoir et qu'avec moi, on veut s'y prendre autrement. Au lieu de m'engueuler, me bouder, etc., on agit d'une autre manière : on s'occupe de mon petit confort. Imaginez qu'hier soir, en rentrant chez moi, je découvre qu'on est en train de ré-asphalter la rue où j'habite, une rue qui n'a pas été goudronnée depuis les années 60, et qui est devenue, en une seule nuit, probablement la plus belle du centre-ville. Si ça n'a été fait rien que pour moi, je les remercie, mais, entre nous, je préfère, moi aussi, qu'ils m'engueulent, qu'ils me boudent, qu'ils me fassent des reproches, et surtout qu'ils ne répondent pas à mon téléphone. D'ailleurs, puisque j'y suis, j'aimerais bien qu'ils me filent leurs numéros car je pourrais avoir besoin d'eux, un jour, MOI AUSSI. En attendant, je vais continuer comme si de rien n'était. Bon week-end tout le monde et… Allez l'Maghrib !