La plupart des familles de victimes du putsch de Skhirat vivent une situation financière très précaire. Saâd Ghannam, président de l'Association des familles des victimes, revient sur les souffrances de ces dernières. Entretien. Aujourd'hui Le Maroc : Quelle est la date de création de votre association et quel en est l'objet ? Saâd Ghannam : L'Association des familles des victimes du putsch de Skhirat a été créée en septembre 2000 et réunit toutes les familles des victimes de cet événement tragique. Officiellement, une centaine de victimes ont péri dans le putsch de Skhirat en juillet 1971 dont dix étrangers (huit Français, un Belge et un Espagnol). Sa création faisait suite à quelques articles parus dans la presse nationale à l'époque et qui citaient des anciens putschistes. C'était le cas de Mohamed Raïs qui a déclaré, dans des propos publiés par un journal marocain, qu'il avait tué le capitaine Boujemâa. La famille de ce dernier, mais également celles d'autres victimes du putsch de Skhirat se sont senties révoltées et ont décidé la création d'une association capable de défendre leurs droits et de faire éclater la vérité en plein jour. Le livre de Marzouki, que je qualifie personnellement d'apologie du crime publié à cette même époque, les a confortées dans leur position. Il s'en est suivi des indemnisations perçues par ces mêmes personnes qui ont participé au coup d'Etat manqué alors que les vraies victimes, familles de ceux qui ont péri à Skhirat, attendent toujours. Pour atteindre notre objectif, l'association a publié deux ouvrages. Le premier en arabe, s'intitulant « Vérités historiques » (2001) et le second en français « Crimes contre l'humanité » en 2002. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps avant de créer votre association ? Il y a à cela plusieurs raisons. D'abord le jeune âge de la plupart des enfants des victimes de Skhirat, qui, signalons-le, étaient en grande majorité de jeunes cadres. À l'exception de quelques personnes qui étaient d'un certain âge, comme le Dr Dubois-Roquebert, ancien médecin de la famille royale qui avait 80 ans et Haj Ahmed Bahnini, la majorité des victimes avaient la quarantaine. La création de notre association en 2000 est intervenue, alors que notre pays s'ouvrait sur une nouvelle ère durant laquelle plusieurs organismes ont pris en charge le dossier des droits de l'Homme. On a commencé également à donner beaucoup plus d'importance aux putschistes au moment où les familles des victimes souffraient toujours. Ces familles ont-elles été indemnisées après le coup d'Etat de Skhirat ? Après ce putsch, Feu SM Hassan II a donné ses directives pour que les familles des victimes soient correctement indemnisées. L'année d'après, le général Oufkir, qui avait à l'époque une main-mise sur la machine militaire, a organisé une parodie de jugement. Les familles des victimes ont alors été indemnisées par une caisse spéciale créée à cet effet. Les indemnisations ont été décidées suivant un barème qui prenait en compte les échelons administratifs des victimes. Le cas de la famille Taïd est édifiant. Ce jeune imam, chef de service des affaires islamiques au sein du ministère des Habous et des Affaires islamiques, tué à Skhirat, a laissé onze enfants derrière lui. Après sa mort, sa famille n'a touché que 80.000 dirhams. Vous n'avez qu'à la partager en respectant la loi islamique pour savoir la part de chaque enfant. Quelques familles n'ont pu avoir que les frais d'enterrement de leurs parents tués. Pour ce qui est des pensions, elles sont dérisoires. Imaginez des veuves de cadres qui touchent entre 500 et 900 dirhams par mois ? Que sont devenues ces familles à présent ? La plupart vivent une situation financière très précaire. Beaucoup d'enfants de victimes ont été obligés d'interrompre leur scolarisation pour pouvoir subvenir aux besoins de leurs familles. Nombreux sont ceux qui se trouvent actuellement au chômage comme ce fils de capitaine qui est cireur de chaussure quand il n'est pas marchand ambulant. Plusieurs ont hérité de séquelles psychologiques dûes au traumatisme suivant la perte tragique d'un parent. Les dépressions nerveuses sont fréquentes au sein de ces familles dont les parents ont été victimes de crimes contre l'humanité comme définis par le droit international, c'est-à-dire, un militaire tirant sur des civils sans armes. Où en est votre dossier à présent? Quelles sont vos doléances ? Nos doléances sont très simples. Nous demandons une plus grande justice dans la résolution des affaires du passé, c'est-à-dire une pension plus conséquente pour les familles des victimes, une couverture sociale, et le droit pour les enfants d'accéder à un travail. Notre dossier a été étudié par les hautes instances de l'Etat. Une commission spéciale créée par SM le Roi Mohammed VI nous a contactés en avril 2001. Nous avons tenus plusieurs réunions mais nous en attendons toujours les fruits. Nous avons également fait du lobbying auprès de nombreux groupes parlementaires. Tous se sont déclarés en faveur de nos droits. Nous sommes toujours dans l'attente d'une réponse concrète.