ALM : Cela fait 50 ans que la BAD et le Maroc ont entamé leur partenariat. Comment qualifieriez-vous la relation qu'entretient la banque avec le Maroc? Y a-t-il éventuellement des aspects à améliorer ? Vincent Castel : Le Maroc et la BAD ont véritablement un partenariat d'exception. Tout d'abord puisque le Royaume est, avec 22 autres pays africains, l'un des fondateurs de la BAD, et aussi parce que le Maroc est le tout premier bénéficiaire des services de la banque avec 10 milliards de dollars investis depuis sa création et 2,3 milliards actuellement investis dans 33 projets en cours de réalisation. Le Maroc nous a donné cette chance de pouvoir l'accompagner dans les grands chantiers de son développement infrastructurel qui ont permis, entre autres, de mettre en place les systèmes d'accès à l'eau potable pour 2/3 de la population marocaine ; d'assurer le doublement des capacités aéroportuaires ; de contribuer à la construction des autoroutes et des pistes rurales ; de permettre l'accès à l'électricité à 98% de la population rurale ou encore de développer l'irrigation de l'agriculture. Cet accompagnement se fait aussi à travers l'appui aux réformes qui accompagnent l'amélioration de la compétitivité de l'économie tout en développant les systèmes de protection sociale. On mentionnera par exemple récemment l'appui au Ramed, le développement des assurances agricoles, la réduction du temps de dédouanement des marchandises à 3 jours, ou encore l'amélioration de l'accès aux financements pour les femmes et les étudiants. C'est un partenariat qui a vertu à croître alors que l'Afrique se positionne comme le nouveau pôle de croissance mondial et que le Maroc met tout en œuvre pour bénéficier et contribuer à cette dynamique. Quoi de plus naturel pour l'institution financière de l'Afrique que de l'accompagner à présent sur cette voie. Quels sont les travaux prévus pour le Maroc ? La Banque africaine de développement a établi cette année avec les autorités marocaines et en consultation avec la société civile et le secteur privé marocain son programme d'appui pour les trois prochaines années. Nous allons continuer à œuvrer avec le Maroc pour renforcer la compétitivité et la sophistication de l'économie, tout en facilitant la distribution des bienfaits de la croissance au sein de la population. Pour ce dernier point, ceci passe en particulier par un appui aux réformes pour améliorer la protection sociale et l'éducation et aussi par un appui aux infrastructures de base dans les régions. Quelles sont les faiblesses du Maroc qui freinent sa croissance et son développement ? Nous avons réalisé avec les autorités et le MCC un diagnostic de croissance pour identifier les freins les plus importants à la croissance et en particulier à la croissance tirée par le secteur privé. Cette analyse a fait ressortir deux contraintes majeures : au niveau du cadre régissant la vie des entreprises et au niveau du capital humain. Pour la première contrainte, il s'agit en particulier de la lourdeur du système judiciaire, d'une structure fiscale biaisée et de la dualité et de la complexité du régime foncier. Le problème majeur du capital humain se situe au niveau du système d'éducation et de formation qui ne dote pas les apprenants en compétences et aptitudes requises par le marché du travail. Comment qualifiez-vous la croissance économique du Maroc par rapport aux pays du Maghreb ? Il est clair que le Maroc tire pleinement les fruits d'une transition où la stabilité est conjuguée à une forte volonté de réformer. On peut saluer en particulier les efforts réels d'amélioration des équilibres macroéconomiques, car sans cette stabilité il n'y a pas de croissance et donc pas de création d'emplois. Cette dynamique permettra à terme d'améliorer nettement la compétitivité de l'économie et à rendre la croissance moins dépendante des impacts des aléas climatiques sur le secteur agricole. Dans le rapport annuel 2014, nous avons remarqué que les inégalités sociales se sont aggravées au Maroc. À votre avis quelles sont les raisons de ces inégalités ? Et quelles sont les solutions pour lutter contre ce fléau ? Comme indiqué dans le rapport, les données sont sujettes à caution. Ce qu'il faut principalement retenir du rapport c'est que de 2000 à 2010, la distribution des bienfaits de la croissance s'est améliorée au Maroc. Mais il faut toujours améliorer cette dynamique et s'assurer que la croissance bénéficie à toutes les catégories sociales, aux jeunes et aux moins jeunes, aux hommes et aux femmes et à toutes les régions d'un Etat. À l'échelle de la région les deux grandes défaillances qui limitent la distribution des bienfaits de la croissance sont l'emploi (avec des catégories très vulnérables : les jeunes, les diplômés et les femmes) et les disparités régionales (en termes d'accès aux services publics et à leur qualité).