La décision est tombée comme un couperet : la CGEM a décidé de ne pas prendre part aux rencontres économiques qui devaient se dérouler en marge de la visite officielle au Maroc du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan. Pour rappel, le Premier ministre turc effectue les 3 et 4 juin une visite officielle au Maroc. En plus des rencontres d'ordre politique avec les membres du gouvernement marocain, la visite devait être l'occasion, évidemment, de discuter des questions tout aussi importantes d'ordre économique. Et pour cela, le Premier ministre turc est accompagné d'une forte délégation d'hommes d'affaires de son pays dont une grande partie sous l'égide de la Müsiad, l'Association des industriels et hommes d'affaires indépendants. L'information du boycott ayant été fortement relayée sans pour autant être commentée officiellement par la CGEM, ALM a pris contact dès lundi matin avec cette dernière pour davantage de précisions. Et là, la Confédération n'a pas mâché ses mots. Tout en confirmant qu'elle ne prend pas part à la rencontre économique Maroc-Turquie, la CGEM explique en substance qu'elle «a été sollicitée, en renfort, quelques jours seulement avant l'événement pour des rencontres B to B, un format que la Confédération estime ne pas convenir à une approche stratégique vis-à-vis d'un pays avec lequel le Maroc enregistre un déficit commercial aussi important». La même source autorisée auprès de la CGEM poursuit, à ce titre, qu'il est «regrettable qu'un tel événement n'ait pas été préparé avec la rigueur et la concertation nécessaires en amont car, au regard des enjeux industriels et commerciaux, le Maroc aurait dû saisir cette occasion pour discuter, dans le fond, des problèmes économiques réels que pose l'accord de libre-échange, qui est entré en vigueur il y a 7 ans, et trouver des opportunités de développement conjoint et mieux équilibré entre les deux pays». Une position qui a au moins le mérite d'être claire et limpide. Mais, quand bien même il paraîtrait justifié, ce boycott susciterait des questions de fond. Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Comment se fait-il que pour une rencontre avec un partenaire de cette taille, le gouvernement n'ait pas pris la peine de se concerter suffisamment de temps à l'avance avec le patronat marocain, du moins s'il l'on en croit les propos de la CGEM ? Cela est d'autant plus étonnant et mystérieux que, il y a quelques jours, une annonce officielle de ces rencontres économiques avait été faite en grande pompe. Et, remarque intéressante qui s'impose à ce niveau, lesdites rencontres devaient se tenir sous l'égide de la Müsiad pour le côté marocain, non pas la CGEM mais l'association Amal Entreprises. Ce que des sources gouvernementales confirment en expliquant que «le chef de gouvernement a donné son aval, sur proposition des ministères concernés, pour que l'association Amal pilote ces rencontres». Mais alors, pour quelles raisons le gouvernement se serait-il retourné, et à la dernière minute, vers la CGEM pour l'inviter à «mobiliser ses membres» pour assister à ces rencontres ? Une question qui reste sans réponse. En tout cas, le refus de la CGEM de cautionner une telle démarche n'était peut-être pas si inattendu que cela. Les membres de la Confédération n'arrêtent pas depuis plusieurs mois de tirer la sonnette d'alarme quant à l'invasion néfaste du marché marocain par les entreprises turques. La dernière mise en garde en date est celle de la Fédération des BTP qui avait envoyé au ministère de tutelle, en l'occurrence celui de l'équipement et du transport, une correspondance où elle refusait de prendre part à une visite officielle du ministre en Turquie. La raison de ce refus, comme on peut le lire dans la lettre, est que les entreprises turques sont suffisamment bien présentes sur le marché marocain où elles livrent une concurrence acharnée aux entreprises locales. Lors des réunions du conseil d'administration de la CGEM, la question de la concurrence turque est, d'ailleurs, souvent sur la table des discussions. Et le secteur du BTP n'est pas le seul à faire de la résistance. Dans le secteur agricole aussi, le Maroc tient à préserver ses intérêts et cette fois-ci pas seulement du côté des entreprises mais aussi de l'Etat lui-même à travers le ministère (voir encadré ci-contre).