Il y a quelques semaines ou quelques mois, je ne m'en souviens plus, j'avais commis, ici même, un billet où je m'interrogeais présomptueusement, comme d'habitude, sur la réalité très virtuelle de la crise dans notre pays. J'avais titré cet opus d'une manière outrancière : «La crise ? Quelle crise?». En vérité, à travers cette question double qui n'en était pas une, je voulais expliquer à qui ne voulait pas piger qu'on n'avait pas à se plaindre car notre pays présentait, au-delà de toutes les contradictions apparentes, tous les signes visuels d'une contrée plus que prospère. En fait, alors que partout ailleurs dans le monde, ça ne va pas des masses, je ne comprenais pas pourquoi ni comment seul le Maroc, aussi spécifique qu'il puisse être, était capable, d'être au-dessus de l'eau. Aujourd'hui, je dois vous avouer que je ne suis pas plus avancé qu'avant. Bien entendu, certains continuent de nous parler de crise, de récession, d'inflation, de baisse de pouvoir d'achat, et de tous ces trucs pas très sympas, mais, en même temps, d'autres, parfois les mêmes, nous rassurent qu'il n' y a rien de tout ça, et que tout va bien dans le meilleur des mondes. Alors, comment voulez-vous qu'on se retrouve dans cet imbroglio mené parfois avec beaucoup de brio. Tenez, pas loin qu'il y a deux jours, j'ai suivi avec des yeux tout ronds et des oreilles trop en éveil, une émission à la télé où deux thèses complémentaires et contradictoires se télescopaient avec un culot étonnamment percutant. Je vais essayer, dans la mesure du possible, de vous synthétiser ce débat duquel les Marocains, qu'ils soient d'en haut ou d'en bas, n'ont sûrement pas retenu grand-chose, sinon que crise ou pas crise, qu'est-ce qu'on est bavards dans ce bled ! Bref. Le défenseur de la première thèse soutenait que si la crise est bien là, il n'y en a qu'une seule, alors que, se défendait-il, quand c'était son camp qui tenait les rênes, ce n'était pas une, ni deux, mais plutôt trois crises qu'il a confrontées, certes, sans efficacité, mais avec bravoure et témérité. Silence sur le plateau et sourire de satisfaction du ténor opposant en question. Alors qu'on attendait que l'adversaire majoritaire en face prenne les devants pour rétorquer, par exemple, que la crise actuelle n'a rien à voir avec leurs crisettes à deux sous, et qu'elle est tellement plus grave qu'il a dû couper dans le vif du budget pour laisser au moins de quoi payer les salaires des fonctionnaires et tous les avantages en nature qui vont avec, il a préféré faire une surprenante fuite en avant en déclarant, le sourire radieux et les yeux pétillants, que la crise au Maroc, lui, il ne la connaît pas ! Et les preuves, il en avait à la pelle. Et de nous énumérer toute une liste non exhaustive de grands chantiers lancés, de supers investissements enclenchés, d'immenses chèques signés, bref, tout va bien, Madame la Marquise, et mes compliments à Monsieur le Marquis. Et les 15 milliards DH gelés, monsieur le ministre nihiliste ? Euh… oui, mais ça, ça n'a rien à voir… Euh… les gens ont exagéré… Euh … les entrepreneurs n'ont pas compris… Euh… Ne vous en faites pas trop… Euh… Heu…reux… Bien sûr, je caricature, mais, à peine, je vous le jure. Franchement, je crois qu'il y a comme une embrouille. En tout cas, moi, je ne sais plus quoi faire. J'ai, d'un côté, ma douce moitié qui ne fait que râler parce que je ne peux toujours pas lui offrir ce qu'elle réclame depuis… les 3 dernières crises, et de l'autre côté, notre gouvernement qui nous demande d'être patients et sages, en attendant que la crise passe. La crise ? Quelle crise ? Si vous avez une réponse, prière de l'adresser au journal qui transmettra. D'ci là, je souhaite à tous les patients et à tous les patientes un très bon week-end. Quant aux embrouilleurs…