Depuis les attaques terroristes du 11 septembre 2001, les pays arabes – y compris « les plus stables» - ne laissent plus indifférents les commentateurs de la presse américaine. Jusqu'à maintenant, les analystes américains des régimes et des sociétés arabes ne juraient que par le truchement d'un seul et unique prisme : celui des régimes remparts contre l'islamisme radical. Mais, là, ces mêmes commentateurs et analystes sont tombés sous le charme de cette révolution tunisienne, qui vient de coûter son pouvoir absolu au président Zine El-Abidine Ben Ali. Le New York Times a dépêché l'un de ses éditorialistes à Tunis. Roger Cohen explique pourquoi le changement en Tunisie est « vital pour les intérêts de l'Amérique ». Pour lui, ce pays peut devenir « une nouvelle Turquie » au cœur du monde arabe. Ce qui ne peut qu'accélérer une « contagion démocratique », qui fait tellement peur aux dirigeants arabes ! L'une des leçons majeures que les Tunisiens donnent aux peuples et aux gouvernants arabes est qu'il ne faut « jamais sous-estimer le potentiel des peuples écrasés par des régimes autoritaires ». Les peuples finissent toujours par se rappeler au bon souvenir de leurs gouvernants, ajoute en substance Roger Cohen. Ils le font par «des révolutions inattendues et des soulèvements spontanés, qui ne font que galvaniser une volonté - longtemps comprimée – à défier l'oppression et à combattre la corruption». C'est cette volonté qui s'est imposée – alors qu'elle n'y était pas invitée – au deuxième sommet économique arabe qui vient de se tenir à Sharm El-Sheikh en Egypte. Dans son édition du 19 janvier, l'éditorialiste du Los Angeles Times écrit que «les troubles en Tunisie ont dominé les travaux de ce sommet où les dirigeants arabes sont apparus inquiets de la perspective d'un effet boule de neige sur toute leur région». Et le journaliste de rappeler les tentatives d'immolation par le feu comme mode de protestation, qui se sont multipliées de la Mauritanie jusqu'en Egypte en passant par l'Algérie. «La révolution des jasmins sonne comme un réveil pour un grand nombre de dirigeants arabes», écrit l'éditorialiste du Washington Post le 15 janvier. Il ajoute que cette protestation populaire a «démoli,en même temps que le régime de Ben Ali, certaines certitudes du monde arabe, dont celle que ses potentats seraient à l'abri de la menace que représente le pouvoir des peuples et leur capacité à détrôner les dictateurs. » Pour s'en convaincre, l'auteur appelle les régimes arabes à considérer les exemples des anciens pays communistes d'Europe de l'Est. Il invite enfin l'administration de son pays à méditer «la leçon tunisienne». Pour lui, Barack Obama et sa secrétaire d'Etat Hillary Clinton doivent changer de cap. L'éditorialiste leur demande de ne plus« mettre en veilleuse le soutien que les Etats Unis sont tenus d'apporter aux réformes démocratiques et à la promotion des droits de l'Homme dans les pays arabes». Mais les responsables américains demeurent inquiets ! Et leur inquiétude se décline en un Ancien ambassadeur au Maroc et fin connaisseur du Maghreb, Marc Ginsberg s'interroge dans une tribune publiée dans le Huffington Post, sur les dangers que court la révolution tunisienne. Pour lui, la question principale qui taraude les Etats Unis c'est de déterminer s'il y a des risques «d'un hold-up islamiste ou par des éléments d'AQMI de la transition de la Tunisie vers un régime véritablement séculier et démocratique». Tout en vantant les raisons objectifs qui font que les Tunisiens sont à même d'être les premiers de la région à réussir leur mue démocratique, Ginsberg met en garde contre ce qu'il appelle «jeter de l'huile sur le feu» des extrémismes. Et l'auteur n'y va pas par quatre chemins. Il pointe d'entrée de jeu Al-Jazeera ! Il accuse la chaîne qatarie d'être sortie de son rôle de media, pour se transformer en une sorte de « force mobilisatrice, incitant les masses populaires à davantage de soulèvements sociaux». Ainsi, écrit-il en substance, les responsables de la chaîne auront le sang et les larmes dont ils ont besoin pour lancer leur JT avec des ouvertures plus qu'accrocheuses ! Dans le même journal, un autre connaisseur supposé de la région, décrit le soulèvement tunisien comme la première révolution cybernétique. Le philosophe et écrivain français Bernard-Henri Levy écrit (en anglais !) que la révolution tunisienne est «l'œuvre des internautes, des surfeurs sur le web et des utilisateurs de Twitter, Facebook et autres You Tube». Une façon d'attribuer un rôle plus qu'exclusif aux bloggeurs et aux réseaux sociaux. Ce rôle a certainement été déterminant dans la diffusion et l'amplification du mouvement protestataire. Mais, BHL – avec le reste de l'intelligentsia française - semble oublier que Mohammed Bouazizi s'est immolé parce qu'il a été «privé de son commerce et de sa vie, pas de son accès à Internet».