A quelques jours à peine du premier anniversaire du putsch à l'issue duquel, le 1er Février 2020, elle s'était emparé de la totalité du pouvoir en écartant l'ancienne dirigeante et prix Nobel de la Paix, Aung San Suu Kyi, 76 ans, la junte birmane a marqué son acharnement contre cette dernière en aggravant, le 10 janvier dernier, sa condamnation de quatre nouvelles années supplémentaires. Privée de sa liberté, durant quinze années, par les juntes militaires précédentes et assignée à résidence la plupart du temps, Aung San Suu Kyi, reste la bête noire d'un régime pour lequel la démocratie qu'elle entend promouvoir dans le pays, « ne serait qu'un raccourci vers le délitement de la nation ». Coupée du monde pour « sédition », « corruption », « incitation aux troubles publics », « fraude électorale » voire même « importation illégale de talkies-walkies », la lauréate du Prix Nobel de la Paix 1991, est détenue dans un lieu secret depuis le coup d'Etat du 1er Février 2021 et ses seuls liens avec l'extérieur se limitent à de brefs entretiens avec ses avocats auxquels il est interdit de s'adresser aux médias ou aux organisations internationales. « Tout le monde sait que ces accusations sont fausses (...) Les militaires utilisent cette tactique de la peur pour la maintenir en détention arbitraire » a déclaré Manny Maung, chercheuse pour l'ONG Human Rights Watch pour laquelle cette nouvelle condamnation, qui n'a pour seule finalité que d'écarter de l'arène politique l'ancienne dirigeante, « risque encore de renforcer la colère de la population birmane ». L'obstination et la force d'Aung San Suu Kyi ayant renforcé sa popularité en Birmanie, c'est donc pour ressusciter la parenthèse démocratique qu'elle a fait vivre au pays de 2016 à 2021 que des milliers de jeunes birmans continuent de manifester pacifiquement en dépit de la répression féroce que leur oppose la junte au pouvoir et que d'autres, qui se sont regroupés au sein des « forces de défense populaires », ont infligé des pertes importantes à l'armée après s'être engagés dans une résistance armée sous la conduite d'un « gouvernement d'unité nationale » (NUG) en exil. Aussi, l'odieux massacre du 24 décembre dernier au terme duquel les cadavres de trente-cinq civils ont été retrouvés dans des voitures carbonisées dans un village de l'Etat Kayah est-il un parfait témoignage de la violence inouïe avec laquelle la junte au pouvoir en Birmanie s'oppose aux « forces de défense populaires ». Mais pourquoi donc les gouvernements occidentaux, naguère si prompts à voler au secours d'Aung San Suu Kyi, détournent-ils leur regard et semblent ne pas prêter grande attention à ce qu'endure celle qu'ils avaient coutume d'appeler, avec beaucoup de respect et d'affection, la « Dame de Rangoon » ? La raison est bien simple : Pour de nombreuses chancelleries, cette dernière avait commis une grossière erreur lorsqu'elle s'était abstenue de condamner publiquement l'épuration ethnique dont furent victimes, en 2016, au nom du suprémacisme bamar et bouddhiste, les rohingyas – minorité de confession musulmane – à l'instigation du patron de la junte actuellement au pouvoir, le général Min Aung Hlaing ; celui-là même qui a fini par se soulever contre elle en Février dernier et par ordonner son arrestation et son assignation à résidence. Mais en considérant, néanmoins, que « l'arrestation, l'inculpation et la condamnation injustes d'Aung San Suu Kyi par le régime militaire birman sont un affront à la justice et à l'Etat de droit », Washington a officiellement réclamé, la « libération immédiate » de la dirigeante birmane lors d'un point de presse tenu par Ned Price, le porte-parole de la diplomatie américaine. Les démocraties occidentales vont-elles emboîter le pas aux Etats-Unis et voler au secours de celle qui restera, malgré tout, le symbole d'une nation opprimée depuis son indépendance en 1948 compte non tenue de cette petite parenthèse démocratique de dix ans qu'elle avait arraché de haute lutte et qui lui avait valu le Prix Nobel de la Paix ? Attendons pour voir... Nabil EL BOUSAADI