Inquiète du chaos en Afghanistan et des potentielles répercussions sur son territoire, la Chine reste prudente face aux talibans mais garde la porte ouverte au dialogue, à l'affût de nouvelles opportunités après la débâcle américaine. Les appréhensions de Pékin se portent notamment sur le Xinjiang. Cette région chinoise qui partage une petite frontière avec l'Afghanistan a longtemps été frappée par des attentats sanglants imputés aux séparatistes et islamistes de l'ethnie locale ouïghoure. En réaction, Pékin a instauré ces dernières années dans la région une surveillance policière draconienne. Selon des experts occidentaux, au moins un million de Ouïghours seraient passés par des « camps de rééducation » anti-islamiste. L'arrivée au pouvoir des talibans, dont le régime a entretenu d'étroites relations avec les militants islamistes ouïghours basés en Afghanistan, inquiète forcément la Chine. « Nous attendons des talibans qu'ils s'attaquent à toutes formes d'organisations terroristes, y compris le Mouvement islamiste du Turkestan oriental », a déclaré mercredi Zhao Lijian, un porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Connu sous son acronyme anglais d' « Etim », ce groupuscule séparatiste ouïghour est considérée par l'ONU comme une organisation terroriste. « Depuis avant le 11 septembre, les Chinois sont inquiets des combattants ouïghours présents en Afghanistan », rappelle Raffaello Pantucci, spécialiste de l'Afghanistan à la S. Rajaratnam School of International Studies à Singapour. « Ils ont essayé de pousser les talibans à faire quelque chose. Mais rien ne prouve que ces derniers en ont tenu compte. La Chine a conscience de ça. Elle sait que ce n'est pas un gouvernement auquel elle peut faire entièrement confiance », estime-t-il. Le pouvoir chinois a toutefois accueilli à Tianjin (nord de la Chine) fin juillet une délégation talibane — qui comprenait notamment le cofondateur du mouvement, le mollah Abdul Ghani Baradar. « Les talibans sont une force politique et militaire cruciale en Afghanistan », reconnaissait alors le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi, exprimant l'espoir qu'ils « jouent un rôle important dans le processus de paix, de réconciliation et de reconstruction » dans le pays. La Chine n'a pas encore reconnu officiellement le régime des talibans, attendant de voir la composition d'un futur gouvernement. « Nous attendons qu'un régime ouvert, inclusif et largement représentatif soit établi en Afghanistan avant que la question d'une reconnaissance diplomatique ne soit abordée », a indiqué mercredi le porte-parole chinois Zhao Lijian. Contrairement à plusieurs puissances occidentales, la Chine a maintenu ouverte son ambassade à Kaboul et son ambassadeur est toujours présent dans la capitale afghane. Pékin a tout de même rapatrié 210 de ses ressortissants le mois dernier. La Chine voit également dans le retrait américain une opportunité de renforcer son grand projet d'infrastructures des « Nouvelles routes de la soie », auquel s'est rallié l'Afghanistan en 2016. Pékin avait obtenu dès 2007 la concession de la mine géante de cuivre d'Aynak (le deuxième gisement mondial), près de la capitale afghane, pour 3 milliards de dollars. L'Afghanistan possède également d'énormes réserves de lithium qui pourraient attiser les convoitises des entreprises chinoises, la Chine étant le premier producteur mondial de véhicules électriques. Mais en raison de la situation sécuritaire, les investissements chinois sont pour l'instant modestes. « Et je ne pense pas que les entreprises chinoises se disent « allons extraire du lithium », en particulier dans certaines zones du pays qui sont encore très dangereuses », analyse M. Pantucci. Avant d'investir en Afghanistan, la Chine a par ailleurs des exigences. « La première est de protéger les investissements de la Chine et d'assurer la sécurité de ses ressortissants », affirme Hua Po, analyste politique indépendant, basé à Pékin. « La deuxième est la nécessité (pour le régime taliban) de couper les relations avec les séparatistes du Turkestan oriental et les empêcher de revenir dans le Xinjiang. » Le mois dernier, le porte-parole des talibans, Suhail Shaheen, s'était montré rassurant sur ces deux points, qualifiant la Chine de « pays ami de l'Afghanistan ». Si Pékin n'entend jouer aucun rôle politique en Afghanistan, le pouvoir communiste n'a pas manqué d'égratigner le rival américain suite au chaos entraîné par le retrait précipité des Etats-Unis. Les diplomates chinois ont massivement relayé sur les réseaux sociaux les images d'Afghans tentant désespérément de fuir lundi depuis l'aéroport de Kaboul. « La puissance et la fonction des Etats-Unis, c'est de détruire, pas de bâtir », a estimé mardi une porte-parole de la diplomatie chinoise, Hua Chunying, accusant Washington d'avoir laissé une « terrible pagaille » en Afghanistan.